Entrevue – La fibrose kystique, l’infertilité et le désir de maternité : drôle de recette !
Entrevue avec Charlène Blais
(SVB 2018)
C’est à 13 ans que Charlène Blais reçoit son diagnostic de fibrose kystique. Elle assure toutefois que cette nouvelle ne l’a pas empêché d’avancer en mordant pleinement dans la vie. C’est avec passion et rigueur que Charlène passe à travers les hauts et les bas de son quotidien. Pressée par le rêve d’avoir quatre enfants, deux garçons et deux filles, elle doit avoir recours à cinq inséminations artificielles et à trois fécondation in vitro pour se voir enfin récompensée. L’aboutissement d’un processus qui aura duré sept ans se présente finalement le 13 avril 2015, lorsqu’on lui apprend qu’elle est enceinte.
Malgré l’émerveillement et le grand bonheur que lui apportent ses jumeaux, Charlène est tout de même en mesure de constater que son rêve était peut-être un peu irréaliste, en raison de la difficulté des procédures et de l’énergie qui doit y être consacrée. Elle et son mari décident alors de se tourner vers l’adoption au Québec plus précisément. Elle nous a accordé une entrevue pendant laquelle nous explorerons les différents moyens d’avoir des enfants quand une femme est atteinte de fibrose kystique. Nous porterons notamment une attention particulière à la
démarche d’adoption qu’elle a d’ailleurs expérimentée récemment.
Entrevue avec Charlène Blais qui, depuis plus de trois ans, est également la présidente de Vivre avec la
fibrose kystique.
Comment la fibrose kystique est-elle venue compliquer le rêve que tu avais d’être enceinte ?
Du côté des femmes, aucune étude claire ni données scientifiques n’explique vraiment comment la fibrose kystique vient compliquer le processus pour avoir des enfants. Les médecins vont souvent nous dire qu’il y a une plus grande présence de mucus au niveau du col de l’utérus, ce qui crée une petite barrière physique dans le col de l’utérus qui empêche le sperme d’y pénétrer.
Pour les hommes qui ont la fibrose kystique, c’est assez simple : le canal déférent qui amène les spermatozoïdes des testicules vers l’extérieur est souvent complètement bouché par le mucus. Environ 95 % des hommes qui ont la fibrose kystique sont donc infertiles. Ils doivent avoir recours à la fécondation in vitro lorsqu’ils veulent être lié à l’enfant génétiquement.
Donc, quels moyens sont à la disposition des femmes dans ta condition si elles désirent réellement tomber enceinte malgré les tentatives échouées ?
Tout d’abord, il y a l’insémination artificielle. Les médecins prennent le sperme et lorsqu’ils reconnaissent une plage d’ovulation, ils vont simplement porter le spermatozoïde dans le col de l’utérus. On cherche alors à sauter la barrière du début occupée par le
bouchon muqueux causé par la fibrose kystique.
La fécondation in vitro constitue une procédure plus intrusive. C’est encore une stimulation ovarienne, mais là ce qu’on veut vraiment c’est avoir le plus d’ovules matures possibles. On tente d’aller chercher toutes les ovules avec une seringue directement dans les ovaires avant que l’ovulation ait lieux.
Ensuite, en laboratoire, ils tentent de faire des « matchs ». Ils percent un peu l’ovule afin d’introduire le sperme ce qui leur permet de regarder les embryons se développer en éprouvette. L’évolution des embryons est caractérisée par des stades précis; un embryon au jour 3 doit avoir 6 à 7 cellules en mémoire. S’il ne satisfait pas à cette demande, soit il est rejeté soit il est conservé pour voir si le développement ne se corrigerait pas dans les prochains jours. Dans mon cas, au
3e jour un embryon s’était très bien développé.
Puisque la fibrose kystique affecte ta vie de tous les jours, en quoi la maladie a-t-elle représenté un défi supplémentaire lors de ta grossesse ?
J’ai pu continuer à recevoir mon « clapping » et à faire tous mes traitements, mais, ce qui était difficile, c’est de ne plus pouvoir bouger autant parce que c’était une grossesse à risque et parce que j’étais énorme. En raison de mon incapacité à bouger physiquement, mes sécrétions collaient davantage dans mes poumons et j’ai dû avoir des alliés pour les faire sortir, j’ai donc eu besoin d’un antibiotique intraveineux.
Pourquoi s’être finalement tournés vers l’adoption ?
Nous nous sommes mis à réfléchir à l’adoption entre notre deuxième et notre troisième tentative de fécondation in vitro. Je me suis dit : avant de se tourner vers des donneurs, je voulais savoir comment se déroule le processus ? Je ne voulais pas accepter que la maternité devait passer par une grossesse. Pour moi, être parent c’était bien plus que ça, c’était d’accompagner un enfant dans toutes les étapes de sa vie même s’il n’est pas issu de mon ventre ou de mes gènes. Ne pas avoir d’affiliation génétique ne représentait pas un obstacle pour nous.
On dirait que naturellement on se tourne vers l’adoption à l’international parce qu’on en entend beaucoup parler et que le processus semble simple. En fait, si ton application est sélectionnée, tu peux adopter ton enfant dès que tu enclenches le processus mais le reste peut être long et éprouvant (tests multiples, rencontres, problèmes possibles dans le pays choisi, etc…).
Qu’est-ce qui vous a poussés à adopter au Québec au lieux de vous tourner vers l’international ?
Bien que la possibilité d’adopter en Chine, par exemple était plus probable, le processus s’avérait beaucoup plus long. Il y a quatre ans, j’avais entendu à une séance d’information que l’attente pour adopter en Chine était de 8 ans. Aujourd’hui quelqu’un ferait les mêmes recherches et obtiendrait probablement des résultats différents. À cause de l’attente, ce processus ne me convenait pas car ma condition peut se dégrader rapidement. Je ne sais pas comment je vais aller dans 8 ans, donc, pour moi, ce délais était inadmissible.
Je me suis alors tournée vers l’adoption au Québec, car les délais convenaient davantage à mon désir imminent d’avoir des enfants et de fonder une famille. J’avais lu et compris que les délais étaient beaucoup plus courts, mais j’avais aussi entendu quelques histoires d’horreur sur l’adoption via une famille d’accueil. En fait, il est possible d’être une famille d’accueil au départ et, si le parent biologique n’est pas reconnu apte à pouvoir s’occuper de son enfant, la possibilité d’adopter s’ouvre à la famille d’accueil. Se tourner vers ce programme de banque mixte était pour nous la meilleure option. Si je peux être dans la vie de cet enfant pendant un an ou deux, je lui aurai apporté quelque chose. L’adoption c’était l’idéal, mais nous comprenions que ce n’était pas nécessairement la finalité de ce processus.
Peux-tu nous décrire en quoi consistent les deux systèmes d’adoption au Québec ?
Au Québec, il y a deux systèmes distincts : l’adoption régulière et l’adoption en banque « mixte ». Il est important de savoir que la grande différence entre les deux est au niveau du consentement parental.
Dans le processus d’’adoption régulière, il faut que les parents biologiques consentent à l’adoption à la naissance. Ils acceptent de donner leur enfant à l’adoption en renonçant à tous leurs droits parentaux et en signant tous les documents. Le parent adoptant peut alors accueillir l’enfant dès le départ et lui donner son propre nom de famille. Il est reconnu comme le parent adoptif. Les délais sont par contre très longs, car les femmes qui mènent une grossesse à terme dans le but de ne pas être le parent sont rares aujourd’hui. Cette situation était très différente au Québec il y a environ 50 ans.
Ensuite, il y a la possibilité d’être famille d’accueil de la banque mixte dans le but d’adopter plus tard les enfants accueillis. Les travailleurs sociaux évaluent ton aptitude à t’occuper d’un enfant, tout en jaugeant ton niveau de tolérance au risque que l’enfant retourne dans sa famille biologique. Certains enfants sont retirés à leurs parents biologiques contre le gré c’est-àdire que ces parents ne consentent pas à l’adoption. Dans ces cas-là, c’est la DPJ qui décide. Lorsque la DPJ juge le parent biologique inapte à s’occuper de son enfant, les tribunaux retirent l’enfant aux parents biologiques pour une période fixe. La cour demande donc au parent biologique de se reprendre en main et de répondre à certains critères pour pouvoir obtenir de nouveau la garde de son enfant. Pendant ce temps, l’enfant fait partie de la banque mixte et la famille qui s’en occupe agit à titre de famille d’accueil.
Ensuite, si un parent n’est pas en condition de répondre aux critères énoncésil ne sera pas apte à s’occuper de son enfant. Ce dernier sera alors confié à une famille de la liste d’attente qui ne voulait pas qu’un enfant accueilli soit repris par son parent biologique après une certaine période. La DPJ nomme cette situation la gestion du risque et j’étais dans cette situation. Dans cette situtation, je devais pouvoir m’attendre à des délais un peu plus longs et que l’enfant ne soit pas aussi jeune et j’en passe. Cela implique aussi qu’il faut être en mesure d’accompagner cet enfant là à travers les problèmes qui seront reliés à la condition du parent biologique.
Peux-tu me décrire brièvement les différentes étapes qui font partie de la démarche d’adoption via la banque mixte ?
Tout d’abord, il faut assister à une séance d’information qui se donne dans votre région. Il y en a deux par année, donc il faut s’inscrire et être patient. Dans mon cas j’y était allée avant d’enclencher le processus d’adoption, puis j’ai vraiment trouvé ça sain d’avoir une cette distance par rapport au processus. Cette période de temps nous a permis de réfléchir sur nos limites et de se renseigner sur ce que c’est d’adopter un enfant. Dans la vie de l’enfant plusieurs situations peuvent être problématiques comme des manques, des espoirs brisés et les parents font aussi face à des questionnements semblables durant la croissance de l’enfant. Cette dernière se déroule nécessairement différemment que dans le cas d’un enfant biologique.
Après cette séance d’information qui aide la prise de conscience, ils nous remettent un formulaire avec plusieurs questions en lien avec nos coordonnées, nos emplois, notre famille et nos critères. Une fois que ce formulaire est transmis à la DPJ, une personne évalue notre dossier et nous contacte pour une première rencontre de présélection. Il s’agit d’une première rencontre pour discuter, ils veulent voir où nous en sommes rendus dans notre réflexion. Sommes-nous prêts à poursuivre les démarches ou, au contraire, faut-il faut repenser à certains aspects ? C’est à ce niveau-là que cette personne va nous aiguiller et nous dire si nous pouvons commencer l’évaluation.
L’étape des rencontres d’évaluation suit. Il y a une évaluation de couple, une évaluation individuelle, une évaluation de la sécurité de la maison et une évaluation de tes enfants biologiques. Finalement, il y a une seconde évaluation de couple. À la fin de ce processus, ils se rencontrent avec un comité pour discuter de la demande. Le moment est venu pour la personne qui a fait les évaluations de remettre ses conclusions; ce comité doit juger si on devrait accréditer la famille ou pas.
De quelle façon la fibrose kystique peut-elle influencer cette démarche d’adoption ? Peut-elle venir compliquer les choses ?
Oui, c’est une difficulté supplémentaire d’adopter en ayant une maladie chronique. Lorsqu’ils m’ont donné un formulaire médical à remplir, je n’ai rien caché de mon état de santé. La travailleuse sociale a elle-même contacté mon médecin pour savoir ce qui en était. En fait, ils veulent savoir si la personne peut élever un enfant jusqu’à sa majorité sans décéder et sans problème de santé majeur. Dans mon cas, mon médecin a été capable de lui répondre que pour ma part rien ne pouvait laisser présager que mon état de santé se dégraderait à moyen ou long terme.
Un autre aspect assez important est qu’il est possible de faire une demande d’adoption en tant que personne seule comme s’il m’arrivait quelque chose et que mon mari veuille adopter l’enfant, a-t-il la santé pour le faire ? Passerait-il la grille d’évaluation quand même ? Voilà l’importance d’être un couple solide, l’adoption doit être un projet pris à cœur par les deux parents. Il faut savoir compter sur l’autre personne qui peut être un peu plus en forme et s’assurer d’aller dans la même direction.
Quelle est la suite pour toi ?
Je suis vraiment contente : ma fille a eu un an récemment et la première étape en cour pour l’adoption a été franchie. C’est la demande d’admissibilité à l’adoption par laquelle le juge donne à l’enfant la possibilité d’être adopté en reconnaissant du même coup que les parents biologiques ne seront pas des figures présentes. Ils viennent de me confirmer que je pourrai bientôt adopter ma fille!
Au Québec, les parents biologiques ont tout de même trois mois pour contester cette décision du tribunal. S’il n’y a aucune contestation, après trois mois, la demande d’adoption pourra être effectuée. Je pense
que d’ici un an notre fille portera notre nom. Dans notre cas, le processus s’est très bien déroulé, tellement qu’on réfléchit à faire de nouvelles démarches pour adopter un autre enfant avec ce processus.
Mot de la fin
Si quelqu’un au Québec veut devenir parent sans passer par la grossesse, je crois que l’adoption est vraiment une belle option, c’est un beau processus qui respecte nos limites personnelles. Nous sommes évalués rigoureusement pour savoir si nous sommes des bons candidats, car il faut être pleinement conscient de ce que cela demande en termes d’implications. Avoir des enfants c’est vrai que c’est un don de soi, je n’ai plus beaucoup de temps pour moi. Quand j’ai du temps libre, je priorise mes traitements et ma santé pour être présente avec mes enfants. C’est très exigeant d’être parent, mais c’est vraiment la plus belle chose au monde.
Propos recueillis par Émile de Guise