Entrevue avec Kim Steele, directrice des relations gouvernementales et communautaires, et John Wallenburg, directeur en chef des activités scientifiques, de Fibrose kystique Canada
Propos recueillis par Sébastien Puli et Cateryne Rheaume en octobre 2021
Le 28 septembre 2021, après des années de travail acharné de la part de toute la communauté fibrokystique, la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ) a enfin ajouté Trikafta à la liste des médicaments couverts par le régime général d’assurance médicaments du Québec, c’est-à-dire ceux dont leurs frais sont remboursables. Kim Steele, directrice des relations gouvernementales et communautaires, ainsi que John Wallenburg, directeur en chef des activités scientifiques, tous deux de Fibrose kystique Canada, ont accepté de répondre à nos questions et de revenir sur ce long parcours.
Bonjour à vous deux, merci de prendre le temps de répondre à nos questions.
Tout d’abord, qu’est-ce que le «Trikafta»?
JOHN WALLENBURG: Trikafta est la troisième génération d’une classe de médicaments appelés «modulateurs de CFTR». La CFTR est une protéine et est le produit du gène de la fibrose kystique (FK). Les personnes atteintes de FK ont des mutations dans ce gène et cela engendre une protéine qui n’est pas bien manufacturée. Le processus de fabrication de la protéine est déficient. Et la mutation la plus commune du gène, la F508del, ne fonctionne pas bien même si la protéine CFTR est bel et bien fabriquée par les cellules.
En quoi constitue-t-il une avancée majeure dans le traitement de la fibrose kystique?
JOHN WALLENBURG: Il s’agit d’une avancée majeure, car, dans le passé, tout le progrès que nous avions fait
dans le traitement de la fibrose kystique consistait à traiter les symptômes de la maladie. C’est complètement différent avec les modulateurs de la CFTR. Ce type de médicament corrige le problème biologique à la base de la maladie. Trikafta fait en sorte que la fabrication de la protéine fonctionne mieux, et cela améliore aussi le fonctionnement de la protéine une fois qu’elle est fabriquée. Alors, plutôt que de traiter les symptômes qui résultent de la fabrication défectueuse ou de l’absence de la CFTR, on est entrain, d’une certaine manière même imparfaite, d’empêcher ceux-ci de se former.
Pourquoi l’inscription du Trikafta à la liste des médicaments couverts par la RAMQ est-elle importante?
KIM STEELE: Parce que ce médicament est la plus grande innovation dans l’histoire des soins de la fibrose kystique. Trikafta est un médicament transformateur et révolutionnaire! Il a permis à des personnes d’être retirées de la liste d’attente pour une transplantation pulmonaire et de poursuivre leur vie. De plus, c’est un médicament qui traite de nombreux symptômes dont souffrent tous les jours les personnes atteintes de FK. Il va assurément changer le visage de la FK au Canada et au Québec.
JOHN WALLENBURG: Une autre considération importante est la question économique. Grâce à la mesure du patient d’exception, certaines personnes avaient déjà accès au Trikafta ou à d’autres modulateurs. Étant donné que Trikafta n’était pas inscrit sur la liste des médicaments couverts par la RAMQ et qu’aucune négociation avec le fabricant n’avait été faite quant à son prix d’achat, le gouvernement payait le plein prix. Maintenant, avec une inscription officielle, le gouvernement et le fabricant ont négocié un prix d’achat à la baisse. Cette entente demeure confidentielle.
Qui pourra en bénéficier?
JOHN WALLENBURG: Trikafta ne peut fonctionner que si le patient a une certaine mutation. Actuellement, il n’y a qu’une seule mutation qui est approuvée par Santé Canada, la F508del. Donc seules les personnes ayant au moins une copie de cette mutation peuvent avoir recours à ce médicament. On sait que Trikafta peut fonctionner pour d’autres mutations, mais celles-ci ne sont pas encore approuvées par Santé Canada.
Nous allons continuer de plaider auprès de Santé Canada et du fabricant pour que le plus de personnes possibles puissent avoir accès au Trikafta.
Il est aussi important de noter qu’il y a un certain pourcentage de personnes atteintes de FK qui ne peuvent
bénéficier d’aucun modulateur. Ces patients ont des mutations particulières et, dans leurs cas, la protéine
CFTR est complètement absente. Pour eux, les modulateurs ne fonctionnent pas, car il n’y a aucune protéine sur laquelle agir. C’est entre autres l’une des raisons pour laquelle la recherche est très importante. Pour ces gens, il existe d’autres traitements à développer.
Quel a été le rôle de FK Canada tout au long du processus d’approbation?
KIM STEELE: Les États-Unis ont été le premier pays à approuver Trikafta il y a deux ans. À ce moment-là, nous espérions que le médicament arriverait au Canada assez rapidement, mais ce ne fut pas le cas. Il y a eu de nombreux obstacles. Des changements règlementaires laissant entrevoir une réduction très importante du coût des médicaments au Canada, comme Trikafta, étaient en cours au niveau fédéral. Nous savions que si cette réforme règlementaire était adoptée, il y aurait de fortes chances que le fabricant du Trikafta ne soumette même pas le médicament pour examen au Canada. Nous avons donc dû nous battre contre ces changements et, heureusement, nous avons réussi à les faire reporter. Finalement, ils seront mis en œuvre en janvier 2022, ce qui a permis Trikafta d’être admis en vertu de l’ancienne réglementation.
Par la suite, Trikafta est passé par un processus accéléré d’approbation de Santé Canada et par un processus d’évaluation coût-efficacité de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux du Québec (INESSS). Trente jours après la transmission de la recommandation de l’INESSS au ministre de la Santé et des Services sociaux, la province a commencé le financement de Trikafta. C’est vraiment du jamais vu! C’est extrêmement rapide, mais à la fois trop lent, car nous avons perdu des personnes en cours de route. Comment se déroulent le processus d’approbation et l’inscription à la liste des médicaments admissibles à un remboursement des frais?
KIM STEELE: Tout d’abord, Santé Canada doit approuver le médicament pour son innocuité, son efficacité et sa qualité. On veut s’assurer qu’il fait plus de bien que de mal, qu’il fait ce qu’il est censé faire pour traiter la maladie et qu’il est composé des ingrédients qu’il est censé contenir. En ce qui concerne Trikafta, son examen ayant été accéléré, cette partie du processus d’approbation a pris six mois.
Ensuite, le médicament est déposé à l’INESSS, au Québec, pour une analyse pharmacoéconomique. Ce processus a également été accéléré dans le cas du Trikafta. C’est la première fois que cela arrive pour un médicament en fibrose kystique. Puis l’INESSS fait une recommandation au ministre de la Santé et des Services sociaux qui a 30 jours pour la ratifier.
Maintenant que les frais du Trikafta sont remboursés par la RAMQ, vous pouvez vous procurer le médicament, mais seulement si vous répondez aux critères du Québec. Et c’est là que les gens pourraient avoir des problèmes. En effet, le Québec a adopté la recommandation de l’INESSS fixant à 90% le seuil maximum de la mesure de la fonction pulmonaire du demandeur pour qu’il ait accès au médicament. Ainsi, une personne ayant une fonction pulmonaire de 90% ou plus ne pourra pas se procurer Trikafta par le biais de la mesure des médicaments d’exception. Par contre, elle pourrait s’en procurer par l’entremise de la mesure du patient d’exception en soumettant une demande avec l’aide de son clinicien. Ces demandes sont évaluées au cas par cas.
Nous encourageons donc les gens à en parler à leurs cliniciens. Pour obtenir Trikafta, les personnes fibrokystiques doivent passer un test pour mesurer leur fonction pulmonaire. Les cliniques qui offrent ces tests sont occupées, mais elles établissent des priorités. Avec les résultats en main, les cliniciens pourront aider leurs patients à déterminer si vous êtes admissible à la mesure des médicaments d’exception ou si vous devez soumettre une demande dans le cadre de la mesure du patient d’exception.
Quelles ont été les principales difficultés rencontrées lors des discussions?
KIM STEELE: J’ai déjà parlé des changements règlementaires au niveau fédéral. Pour arriver à repousser l’entrée en vigueur de ces changements, ce fut une grande bataille à travers tout le Canada. Au printemps 2020, nous avons lancé le «Défi des circonscriptions #laFKnattendpas » d’un océan à l’autre. Dans le cadre de ce défi, nous avons rencontré 40% des parlementaires partout au pays. C’était assez phénoménal! Des gens comme vous et moi sont allés parler à leurs élus pour leur expliquer l’impact des décisions prises par le gouvernement fédéral sur la communauté FK canadienne.
Nous avions différents comités de travail et un comité multipartite sur l’accès d’urgence à Trikafta avec des députés fédéraux. Nous avons fait beaucoup de relations médias au Québec, dans toutes les régions. De plus, nous avons écrit des lettres et lancé des pétitions.
Ce fut donc un grand combat avec une multitude d’actions à poser pour en arriver là où nous sommes. Après tout ce dur labeur, nous sommes très heureux que les provinces canadiennes aient choisi d’agir et de donner accès à Trikafta à la communauté FK.
Maintenant, nous devons nous assurer qu’à l’avenir, les processus ne seront pas aussi longs et que les gouvernements fédéral et provinciaux auront une stratégie pour une approbation rapide par les autorités et pour un accès rapide aux médicaments pour traiter les maladies rares, comme Trikafta.
Qu’est-ce qui a convaincu le Québec d’ajouter le Trikafta à la liste des médicaments couverts par la RAMQ?
KIM STEELE: Les gestionnaires des programmes publics d’accès aux médicaments et les ministres ont pris des décisions en se basant largement sur des données probantes. Cependant, cela ne signifie pas que ces données sont toujours bien interprétées. La défense des droits des personnes FK en collaboration avec nos cliniciens est donc toujours nécessaire.
Nous n’avons pas aimé la première ébauche concernant le remboursement de Trikafta. Les critères étaient trop restrictifs. Nous avons donc fait pression et nous avons obtenu des changements de la part de l’INESSS. Il est primordial de laisser les experts en FK décider qui devrait avoir accès au Trikafta.
Qu’en est-il des autres provinces en ce qui concerne l’accès à ce médicament?
KIM STEELE: Les choses changent rapidement, mais je peux dire qu’actuellement les dix provinces et le Yukon ont confirmé le remboursement du Trikafta. Seuls les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut ne se sont pas encore prononcés.