Témoignage d’Élise Bouchard
Terrebonne (Québec)
SVB 2013
Mon nom est Élise Bouchard, j’ai 33 ans et je suis atteinte de fibrose kystique. Le diagnostic a été prononcé dès ma naissance. J’ai été opérée à 30 heures de vie, car j’avais les intestins bloqués en raison d’une accumulation de méconium et de sécrétions alors que j’étais encore dans le ventre de ma mère. C’était à cause de la fibrose kystique. Je suis restée plusieurs mois à l’hôpital. Sans cette opération je ne serais pas là, aujourd’hui, pour écrire ce texte.
À l’époque, les médecins ont dit à mes parents que, vu la gravité de cette maladie, il ne fallait pas s’attendre à ce que je vive bien vieille, l’âge médian de survie étant alors d’à peine une dizaine d’années. Toutefois, selon eux, les médicaments permettraient de contrôler la situation. Je suis la dernière de quatre enfants; les médecins ont donc recommandé à mes parents de s’occuper de moi comme ils s’occupaient des autres enfants, mais en gardant à l’esprit que j’étais plus fragile au plan pulmonaire et digestif.
Ainsi, mes parents ont suivi les recommandations des médecins. J’ai mûri rapidement, à suivre mes traitements et à prendre mes médicaments, en sachant pertinemment que c’était pour mon bien, pour que je puisse rester en vie. J’ai malgré tout grandi et vieilli comme mes frères et ma sœur. Au primaire, tout s’est déroulé normalement. Il y a bien eu quelques visites à l’hôpital, mais sans plus. À cette époque, dans mon cœur de petite fille, je me disais que j’allais guérir de cette maladie, j’avais espoir.
Puis vint l’adolescence. L’âge médian de survie était alors passé à la fin de la vingtaine. Je n’étais toujours pas guérie, mais j’avais encore espoir. Je me disais : « Si les chercheurs pouvaient au moins trouver des médicaments pour prolonger ma vie… Je ne pense pas vivre assez longtemps pour espérer la guérison, mais au moins vivre plus longtemps… » Je vous l’accorde, l’adolescence est un moment difficile dans la vie pour tout le monde. Toutefois, ce fut une période encore plus difficile pour la personne fibro-kystique que je suis. En effet, c’est là que la maladie s’est aggravée.
J’ai dû être hospitalisée pour la première fois à l’âge de 13 ans, lors d’une chirurgie pour des polypes nasaux (fréquents chez les personnes atteintes de fibrose kystique). Par la suite, les infections pulmonaires et les séjours à l’hôpital ont commencé à se multiplier, les jours d’école manqués se sont fait sentir – particulièrement du fait que j’étudiais au collège privé. Heureusement, l’année de mes 15 ans, les médecins m’ont annoncé qu’il était désormais possible de suivre des traitements intraveineux à la maison, à l’aide d’une pompe que l’on transporte dans un sac à la taille. Ma mère et moi avons donc suivi la formation adéquate avec l’infirmière – c’était nouveau et excitant! Je pouvais ainsi aller à l’école tout en ayant mes traitements à la maison plutôt qu’à l’hôpital! Une nouvelle façon de vivre! C’était là une belle innovation dont j’ai pu bénéficier. Finis les cours de rattrapage les fins de semaine pour être au même niveau que tous mes amis à l’école! Toujours pleine d’espoir, j’ai terminé mon secondaire sans problème et me suis dirigée au cégep en soins infirmiers.
Le début de l’âge adulte s’est bien passé, ma condition était stable. J’ai changé de centre hospitalier; j’ai pu continuer à suivre des traitements intraveineux à la maison, mais en utilisant une autre technologie – de petites bouteilles qui tenaient dans une poche! J’ai pris part à quelques études cliniques portant sur de nouveaux médicaments. Les résultats ayant été positifs dans mon cas, mes traitements d’inhalation ont changé et sont devenus plus efficaces. Ainsi, le nombre d‘infections pulmonaires a légèrement diminué.
Un peu plus tard, l’âge médian de survie était passé à la trentaine. J’avais toujours espoir… Espoir de vivre plus longtemps encore. Mon état d’esprit à l’époque se résumait à ceci : « Maintenant, il y a la greffe de poumons. Il y en a de plus en plus, et ça se passe bien. Quand je serai rendue là, j’espère que des poumons seront disponibles pour moi, car ce sera alors mon seul espoir de survie… Toutefois, c’est bien beau, des nouveaux poumons, mais ça ne guérit pas le reste… Il n’y a aucune garantie… »
Aujourd’hui, l’âge médian de survie est passé à plus de 40 ans – l’espoir est toujours là. Je mène une vie active tout en respectant mes limites. Je travaille dans un autre domaine que celui dans lequel j’ai étudié. Je l’admets, m’absenter du travail pour des raisons de santé n’est pas toujours facile. Les promotions ne sont jamais pour moi, pour diverses raisons; cependant, je sais très bien que les absences répétées et la maladie jouent un grand rôle dans ces décisions. Malgré tout, je suis autonome, je vis un jour à la fois, et ça me convient. J’aime la vie et, chaque jour, je remercie le ciel d’être encore là. Tous les jours, je souris – ça me fait du bien, je me sens vivante.
Un beau jour, j’ai rencontré un homme extraordinaire, François, qui a appris à découvrir ma maladie au fil des jours. Il avait tellement confiance en l’avenir avec moi qu’il m’a demandée en mariage quelques mois après notre rencontre. L’année suivante, nous étions mariés! L’espoir d’un bel avenir renaît, jour après jour, avec les hauts et les bas de la maladie. Je souris toujours. NOUS sourions toujours. Malgré les traitements quotidiens qui prennent plusieurs heures par jour, malgré les jours où j’ai envie de tout laisser tomber parce que je suis fatiguée, je souris et je me dis : « Ben voyons donc, t’es toujours là… t’as un amoureux qui t’aime, une belle maison, de l’amour partout… Lâche pas! T’as pas fait tout ce chemin-là pour abandonner maintenant! La vie est belle, profites-en! » Cette volonté de vivre, de voir la vie du bon côté m’a été transmise par mes parents. Je l’ai transformée au fil des années à ma façon. J’ai maintenant espoir en l’avenir.
Il y a quelques mois, la vie m’a offert un cadeau précieux : j’ai donné naissance à un beau petit garçon, Éliott. Qui l’eût cru! Je suis déjà très fière de lui. Désormais, mes espoirs de guérison, je veux les multiplier par millions, par milliards! Je fais tout ce qu’il faut pour que tout aille bien.
Avant la grossesse, nous avons rencontré les médecins de l’hôpital St-Luc, en médecine obstétricale générale et en grossesses à risque, pour nous faire expliquer les risques, veiller à ce que tout se passe pour le mieux durant la grossesse. Heureusement, ma condition étant stable depuis plusieurs années, avec un VEMS[i] de 65 %, les médecins avaient bon espoir que tout se passe bien. Nous avons donc opté pour l’insémination, et la troisième tentative a été la bonne. Nous étions fous de joie, mais en même temps terrifiés. Une femme en bonne santé peut facilement avoir peur lors d’une première grossesse, c’est normal. Dans mon cas, non seulement s’agissait-il d’une première grossesse, mais je suis fibro-kystique. Personne ne pouvait prédire comment se déroulerait ma grossesse, car il n’y avait pas de statistiques. Mon mari aussi avait peur, mais il m’a accompagnée et encouragée avec tout son amour. L’incertitude était aussi difficile pour lui, mais j’étais heureuse, c’était là le plus important. Notre choix était réfléchi, planifié depuis au moins un an; nous allions donc tâcher de profiter pleinement de cette grossesse, avec ses hauts et ses bas.
Le suivi de grossesse a été très étroit – toutes les deux semaines, nous devions nous présenter à l’hôpital. Dès la treizième semaine de grossesse, j’ai commencé à faire du diabète. Je perdais du poids au lieu d’en prendre, mais j’ai été bien suivie, tout s’est bien déroulé, en dépit de trois surinfections. Toutefois, étant habituée de recevoir mes traitements par intraveineuse à la maison, le fait de devoir être hospitalisée, et en isolement par-dessus le marché en raison d’une infection au SARM[ii] – rien à voir avec la grossesse! – a été une dure épreuve pour moi. Enfin, l’accouchement a été provoqué à 37 semaines de grossesse, car je souffrais d’une autre surinfection et je commençais à être épuisée. L’accouchement s’est bien passé, j’ai même accouché naturellement! Je savais que tout irait bien, j’avais tout simplement confiance en la vie.
La période postnatale a été minutieusement planifiée, grâce à l’aide de nos proches. La fatigue, les boires la nuit, les traitements le lendemain matin, la planification de nos journées… Heureusement que j’ai toute l’aide dont j’ai besoin. Mon fils a maintenant cinq mois; je suis présentement un traitement par intraveineuse, le premier depuis l’accouchement. J’avais un peu peur de ne pas y arriver, mais finalement, tout se passe bien. L’aide (ma mère, ma sœur, ma belle-mère, mon beau-père… chacun a son matin) arrive le matin et repart après le dîner. Mon mari arrive en fin de journée et prend la relève. C’est un travail d’équipe! Tout ce branle-bas de combat a pour seul but que mon petit Éliott ne manque de rien. Malgré tout ce que cela implique, je suis la femme la plus heureuse du monde en ce moment. Tout ce que ce petit être apporte, c’est plus que tout ce que j’aurais pu imaginer. Tous mes efforts ont été récompensés. Je sais maintenant qu’un petit garçon me regardera dans les yeux et me dira bientôt « Je t’aime, Maman ». Et encore, simplement à entendre le mot « Maman » de sa bouche, j’en aurai les larmes aux yeux, j’en suis sûre.
Je veux vivre, je veux transmettre à mon fils l’espoir. J’ai envie de voir mon fils faire ses premiers pas, je veux aller le reconduire à sa première journée d’école, je veux le consoler lorsqu’il aura sa première peine d’amour. Je veux être présente pour sa remise des diplômes, je veux l’accompagner le jour de son mariage et qui sait, j’espère même être grand-maman à mon tour!
Depuis ma naissance, je livre bataille à cette maladie qui, jusqu’à maintenant, ne se guérit pas. La vie est belle, et chaque personne mérite de vivre pleinement. J’ai 33 ans, je suis maman… J’ai 33 ans, je veux être maman pour longtemps…
[i] VEMS : Volume expiratoire maximal par seconde
[ii] SARM : Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline
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