Extrait du SVB2009
André M. Cantin, M.D.
Professeur titulaire
Nous l’avons toujours su, les personnes atteintes de fibrose kystique ont beaucoup de classe! En fait, elles ont même plusieurs classes, qui sont définies par leurs gènes. La fibrose kystique est causée par une déficience dans la fonction d’une protéine appelée CFTR. Cette protéine est normalement insérée dans les membranes cellulaires des tissus recouverts de mucus. Le CFTR permet au chlorure, une composante du sel, d’être sécrété de façon appropriée afin de maintenir un niveau adéquat d’hydratation du mucus. Il arrive à l’occasion que des mutations soient présentes dans les gènes codant pour la synthèse de la protéine CFTR. Lorsque ces mutations se retrouvent sur les deux gènes CFTR que nous avons hérités de nos parents, nous présentons un risque élevé de développer les manifestations cliniques reconnues chez des patients atteints de fibrose kystique. Selon le répertoire mondial affiché sur le site Web du consortium pour le génome humain, les chercheurs ont identifié jusqu’à maintenant plus de 1 500 mutations différentes du gène CFTR. Il est important de comprendre que plusieurs de ces mutations ne provoquent pas de maladie, car elles n’entraînent pas le défaut de la protéine du CFTR. Par contre, chez les personnes manifestant des symptômes de la fibrose kystique, il existe des mutations du CFTR dont les répercussions sur la protéine CFTR sont considérables.
Afin de mieux comprendre la biologie de la fibrose kystique et d’aider les médecins à prévoir son évolution clinique, les chercheurs ont décidé de classifier les mutations selon leur impact sur la fonction de la protéine CFTR. Ainsi, cette classification nous permet maintenant de regrouper plusieurs mutations dans une même classe. Cette classification est importante, car elle nous permet non seulement de mieux comprendre la maladie et d’aider à prédire l’évolution de l’état de santé des patients, mais, surtout, de développer de nouvelles thérapies spécifiquement conçues pour améliorer ou corriger la fonction du CFTR associée à toutes les mutations retrouvées dans la même classe. Il existe six classes de défaut de la protéine CFTR, dont trois donnent une maladie cliniquement sévère. Nous pourrions donc dire que si nos efforts se concentrent seulement sur ces trois classes, il serait possible d’aider la grande majorité des patients atteints de cette maladie. De plus, près de 90 % des personnes atteintes de fibrose kystique ont un défaut de leur protéine de la classe 2. Par conséquent, si nous pouvions réaliser une découverte majeure pouvant corriger le défaut des protéines de classe 2, nous pourrions aider 90 % des personnes fibro-kystiques.
Voici un résumé des conséquences de chaque classe illustrée sur la figure ci-contre, ainsi que des développements thérapeutiques qui y sont associés.
Les mutations des classes 1, 2 et 3 sont généralement associées à des manifestations cliniques sévères. La classe 1 comprend des mutations du code de l’acide désoxyribonucléique (ADN) faisant en sorte qu’il y a dans le cadre de la lecture un message indiquant que la cellule doit cesser de transcrire le code avant même que la protéine CFTR ne soit fabriquée. Il s’agit donc d’un arrêt prématuré de la transcription entraînant un arrêt prématuré de la production d’une protéine CFTR normale. L’absence de protéine CFTR fait en sorte que les cellules, au contact du mucus, n’arrivent pas à régler la quantité de sel et d’eau dans le mucus. La classe 6 est identique à la classe 1, à un détail près : l’endroit sur le gène où se fait l’arrêt de la lecture. Dans les mutations de classe 6, l’arrêt de la lecture se fait à la fin, ce qui permet à la cellule de produire une protéine CFTR presque normale. Cette protéine se rend normalement à la membrane et pourrait fonctionner normalement, mais l’absence d’un tout petit bout à la fin de la protéine fait en sorte que la protéine CFTR est très rapidement dégradée. La dégradation rapide du CFTR crée un défaut majeur de la fonction de cette protéine essentielle. Parmi les personnes atteintes de fibrose kystique, environ 1 sur 10 présente au moins une mutation se situant dans les classes 1 ou 6. Toute thérapie nouvelle développée pour les mutations de classe 1 pourrait profiter à la santé de ces malades. Une étude clinique de phase II est en cours aux États-Unis sur le PTC124 (de la compagnie PTC Therapeutics), et les résultats semblent particulièrement encourageants. Le PTC124 est administré par voie orale et permettrait à la cellule de fabriquer une protéine CFTR normale malgré le signal d’arrêt. Les études cliniques en cours semblent démontrer que ce médicament peut restaurer la fonction du CFTR chez certains malades. De plus, les données préliminaires semblent indiquer qu’il s’agit d’un produit bien toléré par les patients. Des études plus poussées sont toutefois nécessaires avant que ce médicament puisse être lancé sur le marché.
Les mutations du gène CFTR produisant des protéines de classe 2 sont de loin les plus fréquentes. Il s’agit ici de mutations provoquant un mauvais repliement de la protéine qui fait en sorte qu’elle est détruite dès sa fabrication. Cette dégradation prématurée de la protéine empêche les patients d’avoir une sécrétion normale de sel et d’eau dans leur mucus. À l’intérieur de chaque cellule, il existe des molécules de surveillance appelées « chaperonnes » dont la tâche consiste à vérifier si l’apparence de chaque protéine est suffisamment normale pour la laisser continuer son chemin vers sa destination finale. Lorsque les chaperonnes reconnaissent un défaut dans l’apparence des protéines, même si cette protéine fonctionne normalement, elles ont comme consigne d’emmener la protéine défectueuse vers le protéasome, sorte de poubelle de la cellule. La mutation la plus fréquente, soit la DF508, se retrouve chez 89 % des personnes atteintes de fibrose kystique. Il s’agit donc d’une priorité pour la recherche. Les travaux de recherche effectués à ce sujet tant au Québec qu’ailleurs dans le monde sont très encourageants, du moins au niveau cellulaire. En effet, plusieurs molécules pouvant déjouer les chaperonnes et permettre au CFTR de se rendre à la membrane ont été découvertes au cours des dernières années. Parmi ces molécules, certaines pourraient rapidement faire l’objet d’études chez l’animal et d’études cliniques. Le programme RESPIRE (BREATHE) de la Fondation canadienne de la fibrose kystique a subventionné deux groupes, à Montréal et à Toronto, afin d’accélérer ces découvertes. Les progrès effectués par ces groupes sont importants, mais il reste plusieurs études précliniques et cliniques à réaliser avant qu’un médicament de ce type puisse être prescrit par un médecin.
La troisième classe de mutations comprend des changements du gène CFTR qui font en sorte que la protéine CFTR est incapable de s’ouvrir et de se fermer pour laisser passer les ions de chlorure. La protéine ne semble pas présenter de défaut de fabrication et se retrouve à l’endroit approprié dans les cellules des tissus recouverts de mucus, mais lorsque les chercheurs tentent d’activer cette protéine, elle reste immuable et ne permet aucun passage du sel et de l’eau. Il en résulte donc un défaut majeur pour les personnes ayant ce type de mutations. La recherche avance également très bien pour les personnes atteintes de ces mutations de classe 3. Plusieurs molécules pouvant partiellement ouvrir le canal CFTR de classe 3 ont été découvertes et ont maintenant été identifiées comme des potentiateurs. Ces molécules augmentent la probabilité d’ouverture du CFTR de classe 3, ce qui pourrait aider une partie non négligeable des personnes atteintes de fibrose kystique au Québec. Des études cliniques sont prévues, particulièrement par des chercheurs américains.
Enfin, les mutations de classes 4 et 5 sont généralement des mutations qui permettent une certaine préservation de la fonction du CFTR. Chez les personnes atteintes de fibrose kystique ayant des mutations de classe 4, la protéine de CFTR est fonctionnelle, mais reconnaît moins bien le chlorure qu’une protéine CFTR normale. Il en résulte que le chlorure passe par ce CFTR défectueux, mais à des taux réduits par rapport à une protéine CFTR normale. Enfin, les mutations de classe 5 sont des mutations qui font que la protéine CFTR est tout à fait normale, tant dans sa structure que dans sa fonction. Le seul problème réside dans le fait que cette protéine CFTR se trouve en moins grande quantité que chez une personne en santé. Étant donné que les mutations donnant des protéines CFTR de classes 4 et 5 permettent une fonction partielle du CFTR, la maladie chez ces personnes est généralement plus bénigne. Les découvertes pouvant être reliées aux mutations de classe 3 pourraient également servir à aider les gens ayant des mutations de classe 4.
Cette classification, ainsi que nos meilleures connaissances de l’évolution des patients dans chaque classe, font en sorte que les médecins tentent maintenant d’identifier les différentes mutations pour chacun des patients de leur clinique. De plus, il est important de rester à l’affût des nouvelles en recherche afin de savoir quelles études cliniques sont en développement et de déterminer avec le médecin les implications de la classe des mutations de chaque patient. Aujourd’hui plus que jamais, les médecins doivent reconnaître que leurs patients ont de la classe… et qu’ils devront, de plus en plus, offrir des traitements de classes!