Sébastien Puli, coordonnateur chez Vivre avec la fibrose kystique
2021
Nous savons aujourd’hui que la fibrose kystique est apparue à l’âge du bronze, en raison de la consommation de lait dans certaines populations, créant une mutation qui s’est peu à peu diffusée (voir notre article dans Vivre Express 2021). Longtemps attribué à un ensorcellement — comme en témoigne cet adage du folklore nord-européen datant du moyen-âge « Malheur à l’enfant chez qui un baiser sur le front a un goût salé. Il est ensorcelé et doit bientôt mourir » —, la première documentation écrite associée à un symptôme de la fibrose kystique se trouve dans un grimoire du XVe siècle, le Codex Latinus Monacensis 849, dans lequel la bénédiction Wieder Elbe recommande de lécher le nez des enfants soupçonnés d’ensorcellement afin de vérifier s’ils ont un goût salé.
Il faudra attendre la sortie de ces âges sombres et le développement de la médecine moderne pour obtenir une première description scientifique de la maladie en 1936, l’identification du gène responsable en 1989 et la généralisation du dépistage néonatal permettant une prise en charge rapide.
De nombreux médecins et chercheurs ont participé à ce long cheminement à travers les époques, apportant chacun leur pierre à l’édifice. Bien qu’il soit impossible de tous les citer en un seul article, nous vous proposons de découvrir les portraits des femmes et des hommes qui ont écrit les grandes pages de l’histoire de la fibrose kystique.
Avant le XXe siècle – Premières descriptions
Pieter Pauw – Première description médicale – 1595
Pieter Pauw (1564-1617) était un botaniste et un médecin néerlandais qui vécut au XVIe siècle. Il est considéré comme le premier à avoir décrit les lésions pancréatiques associées à la fibrose kystique. Le 16 janvier 1595, alors qu’il enseignait l’anatomie à l’Université de Leyde aux Pays-Bas, il pratiqua une autopsie sur une fillette de 11 ans qui, d’après son rapport, était soi-disant « ensorcelée ». Il écrivit ensuite : « Elle présentait des symptômes étranges depuis huit ans. L’enfant était très maigre et épuisée par une fièvre prolongée (hectique). Le pancréas était grumeleux, dur et blanc après l’avoir ouvert. La cause du décès est le pancréas. » Il mentionna également la présence d’une péricardite, une pathologie connue aujourd’hui pour se produire dans certains cas de FK. Ce rapport est donc considéré comme la première description des lésions pancréatiques associées à la fibrose kystique dans l’histoire de la médecine.
Juán Alonso Ruyzes de Fontecha – Première trace de la relation maladie/sel écrite par un médecin – 1606
Juan Alonso Ruyzes de Fontecha (1560-1620) était médecin et professeur de médecine à l’Université d’Alcalá de Henares en Espagne. En 1606, dans son livre Diez privilegios para mugeres preñadas, il écrivit qu’en grattant le front des personnes considérées comme ensorcelées, il avait un goût salé sur les doigts. Bien que cette maladie fût encore associée à la sorcellerie, il s’agissait de la première trace laissée par un médecin à propos de la relation entre la maladie et le sel. On retrouvera cette relation dans de nombreux ouvrages par la suite, comme dans celui de Rochholz en 1857, avant la mise au point bien plus tard du « test de la sueur ».
Première moitié du XXe siècle – Reconnaissance de la maladie
Il faudra attendre longtemps avant que la médecine ancienne, souvent teintée de charlatanisme, évolue progressivement vers une approche plus moderne, basée sur l’observation et l’expérimentation. De nombreuses découvertes auront lieu entre la fin du XXVIIe siècle et le XXe siècle — notamment le microscope, la compréhension des grandes fonctions physiologiques (respiration, digestion, circulation sanguine, etc.) et le développement de nouvelles techniques — et elles permettront, en 1936, la première description scientifique de la fibrose kystique et la compréhension de ses caractéristiques.
Guido Fanconi – Première description scientifique de la maladie – 1936
Guido Fanconi (1892-1979) était un pédiatre suisse, diplômé de l’Université de Zurich en 1918. Il fut nommé en 1929 directeur de l’Hôpital des enfants, et titulaire de la chaire de pédiatrie de la même université. En 1936, il dirigea une thèse consacrée à l’étude d’enfants supposés atteints de la maladie cœliaque, une inflammation de l’intestin dans laquelle il nota une relation entre des lésions du pancréas et une dilatation des bronches. Il s’agissait de la première description scientifique de la fibrose kystique. Cependant, il ne la nomma pas en tant que maladie à part entière.
Dorothy Hansine Andersen – Distinction de la pathologie, hérédité, et 1er test biologique – 1938-1946
Dorothy Hansine Andersen (1901-1963) était pédiatre et pathologiste américaine. Au cours de ses recherches au Babies Hospital à New York, elle parvint à décrire les caractéristiques cliniques et histologiques principales de la fibrose kystique, notamment les problèmes pulmonaires, les troubles digestifs et les lésions anatomiques du pancréas. Elle conclut à une pathologie individuelle qu’elle nomma « fibrose kystique du pancréas », qui occulta cependant la composante pulmonaire. La communauté médicale adopta cette appellation et, par la suite, l’abrègera à fibrose kystique.
Puis, en 1946, Dorothy H. Andersen et Richard G. Hodges, après avoir observé que la fibrose kystique touchait plusieurs membres d’une même fratrie en proportion égale chez les garçons et les filles, avancèrent que la maladie a un caractère génétique avec un mode de transmission autosomique récessif. Mais on est encore loin, à cette époque, de connaitre le gène responsable.
De plus, elle développa un premier test de diagnostic biologique avec l’analyse du contenu des enzymes pancréatiques. Cependant, le caractère très invasif de la procédure rendait ce test peu applicable chez les enfants.
Sydney Farber – Nouveau terme et prise en compte de l’atteinte multiorganique – 1943
Sydney Farber (1903-1973) était également un pédiatre américain, considéré comme le père de la chimiothérapie moderne, et exerçait au Boston Children’s Hospital. En 1943, il proposa le terme mucoviscidosis (mucoviscidose), en référence aux mots « mucus » et « visqueux », pour souligner l’atteinte multiorganique affectant notamment les sécrétions pulmonaires et intestinales, sans s’y limiter. Cependant, les communautés scientifiques anglophone et hispanophone conserveront l’habitude d’utiliser le terme fibrose kystique, alors que les francophones et les germanophones préfèreront le nouveau terme.
Deuxième moitié du XXe siècle — Organisation de la recherche et de la prise en charge
Dans les années 50, des parents de jeunes patients atteints de fibrose kystique, de même que des soignants et des chercheurs, se rassemblent et se sont constitués en association. Leur mission est d’améliorer la qualité et l’espérance de vie des personnes vivant avec la maladie, la qualité des soins et la formation du personnel de santé; de diffuser de l’information; et d’aider à développer la recherche. Ces organisations permettront également de favoriser le dialogue entre la communauté scientifique et médicale, et les familles.
S’en suivra la création des premiers centres spécialisés en fibrose kystique, dont celui à Montréal en 1957, qui répondront à un besoin formulé depuis longtemps par les familles des malades : l’adoption d’une approche globale des conséquences de la fibrose kystique.
Paul di Sant’Agnese – Test de la sueur et première organisation – 1948-1955
Paul di Sant’Agnese (1914-2005) était un pédiatre et un chercheur américain. Il fut une des plus grandes figures de la recherche et de la compréhension de la fibrose kystique. C’est lors de la canicule de 1948 à New York, en voyant arriver en consultation de nombreux patients atteints de fibrose kystique dans des états de forte déshydratation, qu’il put poser le diagnostic de déshydratation extracellulaire hypotonique (trop pauvre en sel) qu’il expliqua par une perte d’ion excessive. Il décida alors de mesurer la composition ionique de la sueur chez ses patients afin de la comparer à un groupe témoin non fibrokystique. Il découvrit chez ses patients une forte prépondérance des ions C1- et Na+, donc de sel. C’est grâce à cette découverte que le test de la sueur est né! Il reste toujours utilisé de nos jours.
En 1955, grâce à l’impulsion de Sant’Agnese, la première organisation de l’histoire ayant pour cause la fibrose kystique, le National Cystic Fibrosis Research Foundation,est fondée. Elle deviendra par la suite la Cystic Fibrosis Foundation. D’autres organisations verront le jour : la Canadian Cystic Fibrosis Foundation en 1960, la United Kingdom Cystic Fibrosis Trust en 1964 et l’Association française de lutte contre la mucoviscidose en 1965.
Il présidera International Cystic Fibrosis (l’ancêtre du CF Worldwide) lors de sa création à Paris en 1965.
Ettore Rossi – Recherche internationale – 1959
Ettore Rossi (1915-1999), pédiatre suisse, fut le fondateur de l’European Working Group for Cystic Fibrosis, ancêtre de l’European Cystic Fibrosis Society actuel. Cette société savante est née de la volonté de partager et de développer la recherche au niveau international. Elle organisa son premier congrès à Vienne (Autriche) en 1960, et elle a renouvelé chaque année depuis ce rendez-vous qui attire de nombreux spécialistes. Suivra par la suite le North American Cystic Fibrosis Conference, congrès devenu incontournable de nos jours.
Harry Shwachman – Définition des trois piliers de la prise en charge moderne de la maladie – 1955
Harry Shwachman (1910-1986), pédiatre et nutritionniste au Children’s Hospital à Boston définit en 1955 les trois piliers de la prise en charge de la maladie :
- Diagnostic précoce
- Traitement précoce et actif de l’infection pulmonaire
- Surveillance et maintien de l’état nutritionnel
Bien que difficile à mettre en place à son époque pour des raisons techniques et par manque de connaissances concernant les régimes alimentaires adéquats, sa vision a servi ultérieurement d’exemple dans les prises en charge de la maladie.
Douglas Crozier – Nouvelle approche nutritionnelle – 1974
Impulsé par les centres spécialisés, le milieu médical changea d’approche au début des années 1970 préférant de plus attendre l’apparition des symptômes pour commencer la prise en charge. En 1974, Douglas Crozier, pédiatre à la clinique de fibrose kystique de l’Hospital for Sick Children à Toronto, publia l’article Cystic fibrosis – a not so fatal disease [Traduction libre : Fibrose kystique – une maladie pas si fatale], dans lequel il rappelle les fondements déjà présentés par Harry Shwachman et l’importance d’une approche multiorganique et pluridisciplinaire. Il dénonça le régime pauvre en graisse préconisé traditionnellement en y préférant un régime normal et plus appétissant, certes, mais accompagné par une prise d’enzymes pancréatique en gélule. Une plus longue espérance de vie des patients de Toronto lui a donné raison, et le lien entre état nutritionnel et fonction pulmonaire deviendra alors de plus en plus évident. Depuis l’arrivée d’une nouvelle préparation d’enzyme en 1977, l’état nutritionnel des personnes vivant avec la fibrose kystique s’est beaucoup amélioré.
Découvertes
Michael Knowles et Paul Quinton – Découverte du défaut primaire de la fibrose kystique – 1981-1983
En 1981, Michael Knowles, chercheur à l’Université de Caroline du Nord, découvrit une anomalie bioélectrique dans l’épithélium respiratoire des personnes atteintes de fibrose kystique. Cette anomalie fut observée aussi chez les nouveau-nés atteints ce qui permit de confirmer qu’elle est un défaut primaire de la maladie, et non pas un effet secondaire. C’est alors qu’en 1983, Paul Quinton, chercheur et vivant lui-même avec la fibrose kystique, réussit à expliquer que cette anomalie était liée à une altération des transports ioniques, et confirma qu’elle constituait le défaut primaire de la maladie.
Francis Collins, Lap-Chee Tsui et John Riordan – Identification du gène – 1987
Bien que la structure de l’ADN fût découverte en 1953, il faudra attendre plus de 30 ans pour que le gène responsable de la fibrose kystique soit identifié. En 1985, Lap-Chee Tsui, généticien et chercheur scientifique, découvrit le chromosome porteur de ce gène. Les travaux de recherche se poursuivirent avec la collaboration de trois équipes dirigées par Lap-Chee Tsui et John Riordan au Canada, et Francis Collins aux États-Unis. Ces trois chercheurs publieront en 1989 les résultats de leurs travaux : l’identification du gène Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator (CFTR), la description de la structure du gène, la nature de la protéine correspondante et la caractérisation de la mutation responsable de la fibrose kystique. Le gène fut baptisé et localisé dans les cellules bronchiques, le pancréas, le foie, et les glandes sudoripares. Aujourd’hui, on connait près de 2000 mutations du gène CFTR. Toutefois, 70 % des patients sont affectés par la mutation F508del alors que 30 % des patients sont porteurs de l’une ou plusieurs des 2000 autres mutations. Les mutations sont catégorisées en six classes selon leur fonctionnement, ce qui permettra de mettre en place différentes approches thérapeutiques.
Jeanette Crossley et Philip Pharrell – Dépistage néonatal – 1979-1998
Depuis les années 70, différentes approches ont été tentées pour dépister la fibrose kystique, mais aucune d’entre elles ne fit l’unanimité en raison de leur complexité ou leur manque de fiabilité.
En 1979, les travaux de la Néo-Zélandaise Jeanette Crossley ouvrent une nouvelle piste : la détection d’un taux élevé de la trypsine immunoréactive(IRT) dans le sang des nouveau-nés atteint de fibrose kystique. Plusieurs expériences sont alors mises en place en Nouvelle-Zélande, en Australie, en France, au Royaume-Uni, en Italie et dans les États américains du Colorado et du Wisconsin. Bien que les résultats fussent probants, il est apparu que les résultats de nombreux dépistages étaient de « faux positifs ». Pour pallier ce problème, on mit en place une stratégie dite en « deux temps » qui consista à effectuer un deuxième test IRT quelques semaines après la naissance. La découverte du gène CFTR en 1985 permettra d’améliorer les résultats du dépistage néonatal.
Cependant, à partir des années 90, époque où l’exigence de la « médecine fondée sur les preuves » (Evidence-Based Medicine) s’impose, une partie du corps médical exprima encore son scepticisme concernant le bénéfice d’un dépistage précoce. De nombreuses études furent publiées démontrant l’avantage d’une prise en charge précoce, sur le plan nutritionnel et sur les fonctions respiratoires.
En septembre 1998, lors du 3e congrès international de Caen sur le dépistage néonatal, des résultats sur le dépistage IRT+ADN ont été présentés, démontrant les bénéfices d’une prise en charge précoce. Lors d’une allocution, le docteur américain Philip Farrell prononça une phrase qui renversera le rôle entre partisans et opposants au dépistage néonatal : « The burden of proof is now on those who are against neonatal screening for cystic fibrosis.» [Traduction libre : la charge de la preuve repose désormais sur ceux qui sont contre le dépistage néonatal de la fibrose kystique.] Cette déclaration, accompagnée des résultats scientifiques obtenus, ouvrit la voie à une généralisation du dépistage néonatal.
Comme nous avons pu le constater, l’histoire de la fibrose kystique, longue et complexe, fut écrite par de nombreuses femmes et de nombreux hommes. Cet article n’en présente qu’une infime partie, car beaucoup d’autres personnes ayant participé à ce parcours auraient pu s’y trouver, par exemple, le Danois Niels Hoiby et son travail sur le pseudomonas en 1976. Aujourd’hui, le progrès des connaissances et de la compréhension de la maladie a permis le développement de thérapies grâce auxquelles l’espérance et la qualité de vie des personnes vivant avec la fibrose kystique se sont améliorées. Mais le chemin est long, et l’histoire continue de s’écrire de nos jours.
Sources :
Georges Travert. 2019. La mucoviscidose, histoire d’une aventure médicale et humaine. Paris : Édition l’Harmattan
Revista Clínica Española Volume 214, Issue 6, August–September 2014, Pages 309-310 J. de Gracia∗ y A. Álvarez Fernández Unidad de Fibrosis Quística, Servicio de Neumología, Hospital Vall d’Hebron, Universidad Autónoma de Barcelona, CIBER Enfermedades Respiratorias, Barcelona, Espana
Pérez J, Pérez E. Antecedentes históricos de la fibrosis quística. En : Dapena FJ, ed. Fibrosis Quística: atención integral, manejo clínico y puesta al día. Granada : Alhulia; 1998
Sources des images :
Wikipedia, cysticfibrosis.online, timetoast.com et BMJ journals