Santé : Nouveaux pathogènes en fibrose kystique
Introduction
Chez les personnes atteintes de fibrose kystique, l’accumulation de mucus visqueux dans les voies respiratoires favorise l’apparition d’infections bactériennes chroniques. Durant l’enfance, la bactérie que l’on retrouve le plus souvent dans les sécrétions bronchiques est Staphylococcus aureus, alors qu’à l’âge adulte, Pseudomonas aeruginosa est plus fréquent.
L’infection chronique par P. aeruginosa constitue la principale cause de morbidité en fibrose kystique. Elle contribue à accélérer le déclin de la fonction pulmonaire et augmente le risque de mortalité. C’est pourquoi dès que cette bactérie apparaît dans les voies respiratoires, on amorce un traitement visant à l’éradiquer. Lorsque l’infection par P. aeruginosa devient chronique, on instaure un traitement d’antibiotique inhalé au long cours, dans le but de préserver la fonction pulmonaire et de diminuer le risque d’exacerbations aiguës.
Dans les dernières années, d’autres bactéries sont devenues de plus en plus prévalentes chez les personnes fibrokystiques. C’est le cas de Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM), de Stenotrophomonas maltophilia et d’Achromobacter xylosoxidans. L’arrivée de ces nouveaux pathogènes soulève beaucoup de questions auxquelles nous n’avons pas encore toutes les réponses. Voici ce qu’on connaît jusqu’à présent de ces trois pathogènes émergents.
Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM)
Épidémiologie
SARM a été décrit pour la première fois au Royaume- Uni en 1961. Il fait partie de la famille des cocci Gram positifs et, comme son nom l’indique, il possède une résistance accrue aux antibiotiques comparative- ment au Staphylococcus aureus habituel.
SARM est un pathogène transmissible d’une per- sonne à une autre et c’est pourquoi les personnes porteuses de cette bactérie doivent être isolées lorsqu’elles sont hospitalisées. La majorité des SARM sont acquis à l’hôpital, mais depuis les années 1990, on a assisté à l’émergence de SARM acquis en communauté (à l’extérieur de l’hôpital). Selon les études, 14 à 32 % des SARM dans la population fibrokystique seraient acquis en communauté. La prise fréquente d’antibiotiques constitue un autre facteur de risque d’infection par SARM.
Au cours des dernières années, la prévalence de SARM chez les gens atteints de fibrose kystique a augmenté constamment. Aux États-Unis, elle est passée de 0,1 % en 1995 à 25 % en 2011. Au Ca- nada, SARM est beaucoup moins fréquent, mais sa prévalence augmente aussi d’année en année. En 2011, 5 % des personnes fibro-kystiques au Canada étaient infectées par SARM.
Impact clinique
Plusieurs études de cohorte ont cherché à déterminer l’impact de SARM sur l’évolution de la maladie, avec des résultats qui sont parfois contradictoires. Dans une étude visant à déterminer l’impact de SARM sur la fonction pulmonaire, les résultats démontraient que les 593 patients porteurs de SARM présentaient à la base une maladie plus sévère que ceux qui n’étaient pas infectés par cette bactérie. Cependant, l’acquisition de SARM n’accélérait pas le déclin de la fonction pulmonaire. Une autre étude faite sur un plus grand nombre de patients (1732 patients por- teurs de SARM) a démontré des résultats opposés. Les personnes qui sont devenues infectées par SARM avaient un VEMS de base plus élevé que le groupe SARM négatif, mais leur VEMS diminuait plus rapide- ment après l’acquisition de cette bactérie.
Qu’en est-il de l’impact de SARM sur la survie? Une autre étude de cohorte d’envergure s’est intéressée à cette question. Chez 5759 patients infectés par SARM, le taux de mortalité était plus élevé que chez ceux qui n’avaient pas de SARM (risque relatif 1,27).
On peut conclure, à la lumière de ces résultats, que l’infection par SARM chez les personnes fibrokystiques semble associée à un déclin accéléré de la fonction pulmonaire (VEMS) et à un taux de mortalité plus élevé. Il faut être prudent dans l’interprétation de ces données, puisqu’elles démontrent une association et non pas un lien de causalité entre la présence de SARM et une aggravation de la maladie. L’infection par SARM pourrait constituer seulement un marqueur de gravité de la maladie.
Traitement
Contrairement au cas de P. aeruginosa, il n’y a pas de consensus dans la littérature sur la prise en charge thérapeutique de SARM. Aucune étude n’a démontré qu’un traitement d’éradication de SARM peut prévenir une infection chronique ou améliorer le cours de la maladie. Il n’y a pas non plus de recommandations concernant le traitement chronique de SARM et aucune médication n’a été mise au point à cet effet.
En cas d’exacerbation pulmonaire aiguë (surinfection pulmonaire) reliée à SARM, le choix d’antibiotiques est plus limité que pour le Staphylococcus aureus. Par voie orale, on peut utiliser le triméthoprime-sulfamé- thoxazole (Bactrim) ou la minocycline selon les sen- sibilités de la bactérie. Le zyvoxam est efficace dans la majorité des cas, mais il est préférable de l’utiliser en deuxième ligne lorsque les autres traitements ne fonctionnent pas ou pour des infections plus sévères, afin d’éviter le développement de résistances. Par voie intraveineuse, les choix possibles sont la vanco- mycine ou la tygécycline.
Stenotrophomonas maltophilia
Épidémiologie
Tout comme P. aeruginosa, S. maltophilia fait partie de la famille des bacilles Gram négatifs et présente une résistance intrinsèque à plusieurs antibiotiques. Il se retrouve dans l’environnement, principalement dans les sources d’eau (lacs et rivières), les plantes et le sol. On peut aussi l’acquérir dans les milieux hospitaliers, mais il ne se transmet pas d’une personne à une autre. L’utilisation fréquente d’antibiotiques constitue un facteur de risque d’infection par cette bactérie.
La prévalence de S. maltophilia en fibrose kystique est variable d’un pays à l’autre, atteignant jusqu’à 30 % dans certaines cliniques d’Europe. En 2011, 14 % des personnes fibro-kystiques aux États-Unis étaient porteuses de S. maltophilia. Tout comme pour SARM, la prévalence de S. maltophilia au Canada a augmenté progressivement dans les dernières années, atteignant 15 % en 2011.
Impact clinique
Plusieurs études sur l’impact de l’infection par S. maltophilia en fibrose kystique ont été publiées, mais les résultats sont contradictoires. Dans une étude de cohorte, la présence de ce pathogène dans les cultures d’expectoration n’influençait pas le taux de survie à trois ans. On notait cependant que la bactérie se retrouvait chez des patients avec une maladie plus sévère comparativement au groupe témoin. Une autre étude a démontré que l’infection chronique par S. maltophilia était associée à un risque accru de mortalité et de transplantation pulmonaire. Toutefois, après ajustement des résultats en tenant compte de facteurs confondants, les résultats devenaient non significatifs.
En ce qui concerne l’impact de S. maltophilia sur la fonction pulmonaire (VEMS), deux études en sont venues à la même conclusion. Les personnes qui acquièrent S. maltophilia ont une maladie de base plus sévère, mais l’apparition de ce micro-organisme n’accélère pas le déclin de la fonction pulmonaire. D’autres données indiquent que l’infection chronique par S. maltophilia est associée à une augmentation du risque d’exacerbations pulmonaires aiguës (risque relatif 1,63).
En résumé, ces données suggèrent que l’infection par S. maltophilia survient chez des personnes avec une maladie plus sévère et qu’elle est associée à une augmentation du risque d’exacerbations respiratoires. L’impact de ce pathogène sur la fonction pulmonaire et la survie n’a pas été clairement démontré jusqu’à maintenant.
Traitement
Il existe peu de données dans la littérature sur le traitement de S. maltophilia en fibrose kystique. Par conséquent, il n’y a pas de ligne directrice concer- nant l’éradication ou le traitement chronique de cette bactérie. En pratique, on traite S. maltophilia seulement lors d’une exacerbation. On choisit le trai- tement approprié en fonction de l’antibiogramme. Lorsque la bactérie est très résistante, on peut utiliser une combinaison d’antibiotiques. Les agents les plus actifs contre S. maltophilia sont le triméthoprime-sulfaméthoxazole, les tétracyclines (minocycline, doxy- cycline), les fluoroquinolones (lévofloxacine princi- palement), la ceftazidime, la ticarcilline-clavulanate (timentin) et la piperacilline-tazobactam (tazocin).
Achromobacter xylosoxidans
Épidémiologie
Achromobacter xylosoxidans appartient aussi à la famille des bacilles Gram négatifs. On le retrouve en milieu hospitalier, mais également dans le sol et les cours d’eau. Il ne se transmet pas d’une personne à l’autre.
- xylosoxidans est moins fréquent que SARM et
- maltophilia. En 2011, seulement 3 % des personnes fibrokystiques au Canada étaient infectées par A. xylosoxidans alors qu’aux États-Unis, la prévalence était de 6 %.
Impact clinique
Les études sur l’impact d’A. xylosoxidans en fibrose kystique sont peu nombreuses et se limitent à de petits groupes de patients. Une étude sur 13 patients infectés chroniquement par Achromobacter n’a dé- montré aucune différence entre leurs résultats aux tests de fonction pulmonaire, leur état nutritionnel et les traitements d’antibiotiques et ceux du groupe témoin (patients sans Achromobacter).
Dans une deuxième étude, 15 patients avec infection chronique par A. xylosoxidans ont été comparés à des cas témoins. Les résultats indiquaient un déclin plus rapide du VEMS chez le groupe infecté. Une troi- sième étude portant sur seulement huit patients avec infection chronique par A. xylosoxidans n’a démontré aucun impact de cette bactérie sur la fonction pulmo- naire. Cependant, les patients infectés ont exigé plus d’antibiotiques intraveineux que le groupe témoin.
Il est difficile de tirer des conclusions à partir de données aussi limitées et contradictoires.
Traitement
Comme pour les autres pathogènes émergents, il n’y a pas de recommandations indiquant que l’on doit éradiquer A. xylosoxidans ou le traiter au long cours. En pratique, on le traite lors d’une exacerbation respiratoire, en se basant sur les sensibilités déterminées par l’antibiogramme. Les antibiotiques les plus actifs contre A. xylosoxidans sont la minocycline, le meropenem, la piperacilline-tazobactam et la colistine à concentration élevée.
CONCLUSION
L’infection bactérienne chronique des voies respira- toires joue un rôle prépondérant en fibrose kystique. Pseudomonas aeruginosa demeure le principal pathogène et son impact négatif sur le cours de la maladie est indéniable. Le rôle des bactéries émer- gentes n’est pas aussi bien défini et d’autres études sont nécessaires pour clarifier cette question.
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Lara Bilodeau
M.D., FRCPC
pneumologue
Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec
Québec (Québec)
Canada