Laval de Launière : D’entrée de jeu, il convient de préciser que je suis titulaire d’un baccalauréat en orientation scolaire et professionnelle, et d’une maîtrise en counselling. Pourquoi la fibrose kystique? Un simple concours de circonstances. À 30 ans, j’étais chargé de cours à l’Université Laval en psychologie de l’affectivité et j’étais à la recherche d’un emploi à temps plein. Le hic, c’est que je voulais vivre à Montréal et conserver mes charges de cours à Québec. Un heureux hasard a voulu que le regretté docteur Roger Lasalle, à l’époque directeur de la clinique de fibrose kystique de l’Hôpital Ste-Justine, soit à la recherche d’un professionnel de l’orientation à mi-temps, dont la tâche consisterait à faciliter l’intégration sociale et professionnelle des patients fibro-kystiques. En clair, il voyait un avenir pour ses jeunes patients et souhaitait les y préparer.
SVB : Vous avez donc postulé pour cet emploi?
LL : Informé par mon ordre professionnel de l’ouverture du poste, j’ai présenté ma candidature au Dr Lasalle. La veille de mon entrevue, j’ai fait une brève recherche en bibliothèque pour en connaître davantage sur la maladie. Tout ce que j’en savais se résumait à la représentation d’une affiche publicitaire de l’époque, laquelle mettait en scène une jeune fille qui respirait péniblement derrière un masque à oxygène. Le jour même de l’entrevue, le docteur Lasalle m’a confirmé mon embauche.
SVB : Comment s’est passé votre premier contact avec les patients?
LL : Mon premier contact avec la clientèle a eu lieu un après-midi de clinique, dans le brouhaha d’une salle d’attente de l’Hôpital Ste-Justine. J’ai été stupéfait de voir tous ces jeunes, seuls ou accompagnés d’un parent. L’atmosphère était débordante d’une vitalité que je ne saurais exprimer. Alors que les enfants dessinaient ou couraient à gauche et à droite sous le regard attentif de leurs parents, les adolescents et les rares adultes fibro-kystiques attendaient sagement leur tour, assis sur des chaises trop petites pour eux. Jamais je ne me serais attendu à rencontrer des individus aussi « normaux » avec des différences individuelles aussi marquées. Je suis tombé sous le charme.
SVB : Comment avez-vous adapté votre approche d’intervention?
LL : Il m’a fallu innover. Je me suis d’abord demandé comment aider ma clientèle dans un cadre aussi peu conventionnel que celui d’une clinique ou d’un séjour à l’hôpital. En d’autres mots, comment pourrais-je inscrire ces jeunes dans une démarche de réflexion sur leurs projets de vie si je ne les voyais que très brièvement – une fois tous les trois mois – lors de leur passage à la clinique? Pour certains, il y avait bien sûr possibilité de rattrapage lors de leurs hospitalisations. Par contre, n’y avait-il pas des limites à les surexposer à mes préoccupations par rapport à leur avenir? Confronté à ces dilemmes, je me suis fixé comme objectif de créer d’abord des liens avec la clientèle, pour ensuite trouver la meilleure voie à suivre.
SVB : Qu’avez-vous découvert grâce à cette relation particulière avec les patients fibro-kystiques?
LL : Entre autres choses, j’ai découvert qu’il y a autant de façons de vivre la maladie qu’il y a de personnes malades, et que les drames humains qui avaient marqué l’histoire de la fibrose kystique avaient nécessairement influencé la perception que les patients avaient d’eux-mêmes et leur rapport avec la maladie. J’ai également appris que l’être humain, qu’il souffre de fibrose kystique ou non, a des capacités d’adaptation tout à fait insoupçonnées. Finalement, j’ai découvert que l’existence de plusieurs patients fibro-kystiques était marquée d’une solitude infinie.
SVB : Comment s’exprimait cette solitude?
LL : Elle s’exprimait par des non-dits. Au début des années 80, alors que l’âge médian de survie ne dépassait pas la jeune vingtaine, on évitait d’aborder certains sujets liés à l’avenir (travail, vie de couple, procréation, etc.) en présence des patients fibro-kystiques par crainte de créer un malaise. En gros, le futur c’était pour… les autres. J’exagère à peine en disant qu’il y avait une véritable « culture de la mort ». Il faut dire qu’elle était bien présente et difficile à cacher. Plus les patients étaient malades, plus ils passaient du temps en compagnie d’autres patients hospitalisés et, conséquemment, plus ils s’exposaient à vivre la perte d’un ami fibro-kystique. Les décès étaient fréquents, et nous vivions tous ces moments avec grande émotion. On peut imaginer ce qui traversait l’esprit des survivants. Serai-je le suivant? Je ne dirai jamais assez à quel point le personnel de l’hôpital se montrait empathique et aidant dans les circonstances.
SVB : Le Comité provincial des adultes fibro-kystiques est né de ces constatations?
LL : Pour plusieurs, dont moi-même, les adultes fibro-kystiques constituaient une source d’encouragement à exploiter. Plus la population des adultes fibro-kystiques augmentait, plus elle offrait des modèles de réussite à présenter aux plus jeunes, et plus elle leur montrait qu’ils avaient un avenir devant eux. Il fallait donc créer des conditions favorables à leur intégration sociale et professionnelle. C’est dans cet état d’esprit qu’est né le CPAFK en 1985. S’il y avait un avenir, il fallait s’y préparer! Et quoi de mieux pour s’y préparer que de se donner collectivement des outils comme le CPAFK. C’est avec un enthousiasme mêlé de scepticisme que six adultes fibro-kystiques de l’Hôpital Ste-Justine ont accepté de mettre la main à la pâte et de donner corps au projet qui se développera peu à peu à l’échelle provinciale grâce à l’implication d’adultes fibro-kystiques des quatre coins du Québec.
SVB : La clinique de fibrose kystique de l’Hôtel-Dieu du CHUM a vu le jour à peu près à la même époque?
LL : Tout à fait. Alors qu’on s’efforçait de faire comprendre aux enfants et aux adolescents qu’ils deviendraient éventuellement des adultes, l’ambitieux projet de transférer les adultes fibro-kystiques de l’Hôpital Ste-Justine vers l’Hôtel-Dieu de Montréal prenait forme. Mais ce projet, souhaité par l’administration de l’Hôpital Ste-Justine et appuyé par les docteurs Roger Lasalle et Alphonse Jeanneret, a rencontré une farouche résistance. Certains patients ne pouvaient se résoudre à quitter ce qui était devenu pour eux une seconde famille, tandis que d’autres se sentaient trahis. Ne devaient-ils pas tous mourir à l’Hôpital Ste-Justine?
SVB: J’imagine que vous avez joué un rôle important dans cette délicate transition?
LL : Le transfert de la première cohorte d’adultes fibro-kystiques de l’Hôpital Ste-Justine vers l’Hôtel-Dieu de Montréal s’est échelonné sur quelques années. C’est au cours de cette même période que j’ai progressivement changé d’employeur pour devenir un employé du Dr Alphonse Jeanneret, alors directeur et fondateur de la clinique de l’Hôtel-Dieu du CHUM. En continuant à travailler quelques heures par semaine à l’Hôpital Ste-Justine, je m’assurais notamment que le transfert se déroulait dans les meilleures conditions possibles pour les patients, autant sur le plan psychologique que social. En même temps, pour ceux nouvellement transférés, je demeurais cette figure stable et rassurante qu’ils savaient en contact avec le personnel de l’Hôpital Ste-Justine. En parallèle, je renforçais mes liens avec la communauté des adultes fibro-kystiques du Québec grâce à mes actions dans le cadre de la mission du CPAFK.
SVB : Quelle était précisément cette mission?
LL : Dès sa fondation, le CPAFK s’est présenté comme un organisme consacré à la qualité de vie des adultes fibro-kystiques du Québec. Essentiellement, il s’agissait d’outiller les adultes fibro-kystiques avec l’objectif d’une meilleure prise en charge de la maladie. La réalité des adultes fibro-kystiques se transformait et faisait inévitablement naître de nouveaux besoins. Il fallait les identifier et y répondre avec nos connaissances et nos moyens. Dans la foulée de l’enthousiasme des perspectives offertes par le CPAFK et brûlant d’impatience, j’ai procédé à l’achat du « 629 » (629, Prince-Arthur Ouest à Montréal), qui est devenu une ressource privée pour les adultes fibro-kystiques. Cette résidence du centre-ville de Montréal allait abriter le siège social du CPAFK et devenir pendant plus de vingt ans un lieu d’hébergement pour les adultes fibro-kystiques du Québec dans le besoin. Au cours de ces années, vingt adultes fibro-kystiques y ont élu domicile pour des périodes allant de quelques mois pour certains à plusieurs années pour d’autres. Vingt-sept ans plus tard, le siège social du CPAFK se trouve toujours au « 629 ».
SVB : Avez-vous rencontré de la résistance devant un projet aussi audacieux?
LL : Évidemment. Cette résistance est venue principalement de l’Association québécoise de la fibrose kystique (AQFK), maintenant Fibrose kystique Québec, qui voyait mal l’arrivée d’un nouvel acteur associatif en fibrose kystique. Du côté de l’AQFK, on s’expliquait mal que les adultes fibro-kystiques impliqués au sein du CPAFK en formation ne trouvent pas en l’AQFK un lieu d’épanouissement, et qu’ils montrent si peu d’enthousiasme à partager leur mission première, à savoir amasser de l’argent pour la recherche. Or, le CPAFK était une organisation naissante, donc toute fragile, qui devait poursuivre une réflexion autonome pour mieux définir sa propre mission associative. Il faut garder à l’esprit que les quelques administrateurs du CPAFK étaient de jeunes adultes en quête d’autonomie et d’affranchissement, alors que les administrateurs de l’AQFK étaient majoritairement des parents obnubilés par le désir de sauver leur enfant grâce aux progrès de la recherche scientifique. Le CPAFK s’inscrivait dans une tout autre dynamique. On y parlait de prise en charge de la maladie, d’autonomie, d’affranchissement, de vie de couple, de surprotection parentale, d’accès au marché travail, etc. Avant tout, le CPAFK se voulait un organisme communautaire d’entraide et de soutien pour ses membres.
SVB : Selon vous, la réalité des adultes fibro-kystiques a-t-elle beaucoup changé au cours des trente dernières années?
LL : « Changé », vous dites? Pour reprendre l’expression que j’ai utilisée plus tôt, la « culture de la mort » a laissé place à une « culture de la vie ». Il y a trente ans, la fibrose kystique était une maladie essentiellement pédiatrique. Les adultes fibro-kystiques étaient extrêmement rares. On les considérait comme des êtres en sursis, sans véritable avenir. Qui aurait cru que l’âge médian de survie passerait de la jeune vingtaine à 48 ans, que le nombre d’adultes fibro-kystiques dépasserait le nombre d’enfants fibro-kystiques, que les transplantations pulmonaires permettraient d’ajouter de nombreuses années de vie à leur existence, que les femmes fibro-kystiques – et plus surprenant encore, les hommes fibro-kystiques, pourtant infertiles – auraient des enfants en si grand nombre, voire des petits-enfants, et que les adultes fibro-kystiques intégreraient de façon aussi importante le marché du travail? Et la liste pourrait s’allonger…
SVB : Selon vous, le CPAFK a-t-il été un acteur important de l’histoire de la fibrose kystique au Québec?
LL : Discrètement, peut-être, mais certainement de façon notable. Le CPAFK a été et demeure un organisme phare pour de nombreux adultes fibro-kystiques du Québec. Il a contribué à briser leur isolement et à leur procurer un sentiment d’appartenance, tout en les outillant en vue d’une meilleure prise en charge de la maladie. Le CPAFK a joué un rôle important, tant sur le plan national qu’international, en se faisant le champion de l’information et en offrant un modèle d’organisation peu commun dans le milieu de la fibrose kystique. Pour ceux qui ne connaissent pas la structure du CPAFK, il est important de souligner que 20 des 22 membres de son conseil d’administration souffrent de fibrose kystique, tout en représentant les différentes régions administratives du Québec. Reconnaissons qu’il y a un caractère unique à ce qu’un organisme d’aide lié à la fibrose kystique soit géré par les bénéficiaires eux-mêmes, sans compter qu’il a réussi à traverser 27 ans d’histoire, malgré les moments troubles que fait vivre une maladie comme la fibrose kystique aux membres d’une organisation.
SVB : Vous êtes sur le point de quitter le navire. Comment entrevoyez-vous l’avenir du CPAFK?
LL : Le CPAFK a beaucoup évolué depuis sa fondation. À ses débuts, j’étais la locomotive de l’organisation, si je puis dire. Appuyé par une petite équipe administrative de six adultes fibro-kystiques – les membres fondateurs du comité –, je travaillais à rendre l’organisme le plus fonctionnel possible, tout en remplissant sa mission sociale. Au fil du temps, avec la contribution de bénévoles fibro-kystiques et l’injection de nouveaux fonds, l’organisme a pris du galon. Il est devenu plus structuré, plus fonctionnel et nettement plus représentatif. Aujourd’hui, les administrateurs du CPAFK sont en plein contrôle de l’organisation. Mon départ devrait ouvrir la voie à de nouvelles adaptations et permettre à l’organisme de gagner davantage en autonomie. Les défis qui attendent le CPAFK sont nombreux. Entre autres choses, il doit jouer un rôle plus actif, à la fois sur les réseaux sociaux et auprès des décideurs publics. Il doit développer de nouvelles stratégies pour s’assurer d’un meilleur financement et ajouter du personnel à sa permanence. Il doit également se rapprocher de ses valeureux partenaires que sont Fibrose kystique Québec, Fibrose kystique Canada et la Fondation l’air d’aller. Sa survie en dépend. Bien que le CPAFK ait toutes les raisons du monde d’être satisfait de sa politique de prévention des infections, il devra mettre à contribution les nouvelles technologies de communication pour intégrer davantage ceux qui craignent de se trouver en présence d’autres adultes fibro-kystiques, ou ceux qui représentent eux-mêmes un danger pour les autres en raison de la nature de leurs bactéries. Les adultes fibro-kystiques peuvent être extrêmement fiers de leur organisation. En conclusion, je tiens à remercier tous ceux et celles qui m’ont accompagné dans cette belle aventure.
SVB : Au nom des adultes fibro-kystiques du Québec, merci beaucoup, Laval, pour toutes ces années d’engagement et de dévouement exceptionnels.