Dr Frank P. Edenborough, MRCP
Unité de soins pour adultes fibro-kystiques
Northern General Hospital
Sheffield, Grande-Bretagne
Note: Cet article fut publié en 2001. Certaines données peuvent différer depuis cette époque.
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La fibrose kystique est une maladie qui affecte, par le biais d’un mauvais fonctionnement des glandes muqueuses, les poumons et le système digestif. Les hommes atteints de cette maladie souffrent également d’infertilité. Cependant, lorsqu’il est question des femmes fibro-kystiques, on confond souvent fertilité et possibilité de grossesse. On sait que la protéine anormale présente dans les poumons, le pancréas et l’intestin des personnes fibro-kystiques se retrouve également dans le col de l’utérus, dans l’utérus lui-même et dans les trompes de Fallope qui relient l’utérus aux ovaires. Pourtant, il est surprenant de constater que les trompes et l’utérus ne sont à peu près pas affectés par la fibrose kystique. Il arrive toutefois que le col de l’utérus soit bouché par un épais bouchon de mucus qui empêche le sperme d’atteindre l’ovule et diminue ainsi la fertilité chez certaines femmes.
Les femmes atteintes de fibrose kystique ont des ovaires normaux. Les hormones qui préparent les ovaires à la puberté de même que celles que fabriquent les ovaires sont produites en quantité normale chez la plupart d’entre elles. Ces hormones mettent cependant plus de temps à atteindre un niveau normal, ce qui explique pourquoi la puberté et les premières règles arrivent plus tard chez les femmes fibro-kystiques. La femme fibro-kystique dont l’état de santé est généralement bon devrait donc avoir des menstruations normales et conséquemment, être fertile. Par contre, la femme dont l’état de santé sera moins bon pourra souffrir de menstruations irrégulières ou d’aménorrhée (absence de menstruations) et être ainsi très peu fertile.
La croyance voulant que les personnes atteintes de fibrose kystique soient peu fertiles est basée sur de grandes études qui ont été conduites alors que la fibrose kystique ne pouvait être traitée aussi bien qu’elle l’est maintenant. Aujourd’hui, de nombreuses femmes atteintes de fibrose kystique sont en bien meilleure santé qu’il y a quelques années et plusieurs d’entre elles peuvent devenir enceintes normalement, même si pour cela, il arrive que le sperme de leur partenaire doive être injecté dans leur utérus afin de contourner le bouchon de mucus.
Une des principales questions que se posent les femmes fibro-kystiques à propos de la grossesse est celle-ci : « Quel effet la fibrose kystique aura-t-elle sur mon bébé? » La première chose à faire lorsqu’on envisage une grossesse est d’abord et avant tout d’entreprendre les démarches pour savoir si votre partenaire est porteur du gène de la fibrose kystique. Si ce n’est pas le cas, la probabilité que le bébé soit atteint de la maladie est de moins de 1 sur 250. Par contre, si votre partenaire est porteur, le bébé aura une chance sur deux de naître avec la maladie. Pour ce qui est des traitements pour la fibrose kystique, la plupart d’entre eux ne sont pas contre-indiqués durant la grossesse. Il y a toutefois quelques exceptions, comme par exemple l’acide ursodéoxycholique et la ciprofloxacine, dont l’usage doit normalement être cessé ou évité durant la grossesse; votre médecin vous informera à propos des autres contre-indications. De façon générale, la mère malade risque de causer elle-même davantage de tort au bébé que ne le ferait son traitement. Si le diabète est quelquefois source de problèmes pendant la grossesse chez les femmes non atteintes de fibrose kystique, il est doublement important qu’il soit bien contrôlé chez les femmes atteintes de la maladie. Un faible poids corporel et une prise de poids insuffisante pendant la grossesse peuvent résulter en de petits bébés nés prématurément. Les femmes de faible poids peuvent aussi avoir de la difficulté à devenir enceintes. Une fonction pulmonaire déficiente peut aussi rendre la grossesse très difficile. De graves infections pulmonaires peuvent entraîner une naissance prématurée et représentent donc un risque sérieux pour le bébé. Toutefois, grâce à l’excellence des soins donnés aux bébés aujourd’hui, il est assez rare qu’ils meurent à la naissance et en très bas âge.
Une seconde question revient fréquemment : « Quel effet la grossesse aura-t-elle sur ma maladie? ». Il est plus difficile de répondre à cette seconde question qu’à la précédente. Il n’existe pas de données claires quant eux effets de la grossesse sur la santé de la mère atteinte de fibrose kystique. Certains médecins pensent que la grossesse peut avoir un effet néfaste sur certaines femmes, alors que d’autres n’en croient rien. Des études ont démontré que la grossesse survient généralement chez les femmes qui n’ont qu’une atteinte légère de la maladie, c’est-à-dire celles chez qui le diagnostic a été établi tard, qui ne prennent aucune enzyme, dont les poumons sont sains et qui ne souffrent pas de diabète. Lorsque la grossesse survient chez une femme plus atteinte, elle a souvent des effets graves. Plus récemment, il est devenu évident que la grossesse pouvait se produire chez des patientes de tous les stades de la fibrose kystique – y compris celles qui sont en attente d’une transplantation – même chez celles souffrant d’une atteinte grave, c’est-à-dire dont la maladie a été diagnostiquée en très bas âge, qui prennent des enzymes, dont les poumons sont endommagés, qui requièrent des traitements antibiotiques et qui sont parfois atteintes de diabète. Même dans ces cas, il semble que la grossesse puisse souvent être réussie. On remarque de plus en plus de femmes dont la grossesse se déroule bien.
Afin de répondre de façon sûre à la question concernant les effets d’une grossesse sur la fibrose kystique, il serait nécessaire de comparer des femmes qui ont été enceintes à d’autres qui ne l’ont pas été. Pour ce faire, il faudrait être certain que les deux groupes sont d’âge similaire et ont le même type d’atteinte de la fibrose kystique. Il serait alors possible d’observer si celles qui sont enceintes se portent moins bien que celles qui ne le sont pas.
Très peu de ces études ont été réalisées et la plupart sont trop limitées pour permettre de répondre à la question. Une étude menée en Grande-Bretagne nous laisse toutefois croire, à mes collègues et à moi, que la fonction pulmonaire de la femme demeure le facteur le plus important. Si la fonction pulmonaire est bonne, peu de problèmes devraient survenir. Par contre, nous croyons qu’une fonction pulmonaire déficiente ferait courir plus de risques, tels une infection nécessitant un traitement intraveineux ou un séjour à l’hôpital, un accouchement prématuré ou par césarienne ou le risque de complications pour le bébé. De plus, la grossesse elle-même pourrait causer des problèmes – une diminution de la fonction pulmonaire par exemple – qui ne se seraient pas produits s’il n’y avait pas eu de grossesse. Certaines femmes enceintes ont vu leur fonction pulmonaire diminuer, ne se sont pas remises de leur grossesse et, dans certains cas, sont mortes peu de temps après. D’autres femmes fibro-kystiques dont l’état de santé était similaire mais qui n’étaient pas enceintes n’ont pas connu ces problèmes.
Que devraient donc conseiller les médecins à leurs patientes qui songent à devenir enceintes? Considérant que les problèmes mentionnés plus haut se sont surtout produits chez les femmes qui avaient une faible fonction pulmonaire, nous sommes d’accord avec ceux qui recommandent qu’une grossesse ne puisse probablement pas être envisagée si le VEMS1 est inférieur à 60%. La plupart des femmes dont le pourcentage est supérieur à cette norme mènent à bien leur grossesse alors que sous celle-ci – moins de 50 % – les mères et les bébés ont fréquemment des problèmes.
Il ne s’agit pas d’une règle absolue; certains facteurs tels un faible poids corporel (moins de 85% du poids idéal ou un indice de masse corporelle inférieur à 18), un diabète mal contrôlé, une affection au foie ou la présence de la bactérie Burkholderia cepacia ou Pseudomonas aeruginosa multi-résistante dans les sécrétions, peuvent amener les médecins à y réfléchir à deux fois avant de permettre une grossesse. Le seul cas où il y aura contre-indication « absolue » à une grossesse sera celui où la fonction pulmonaire de la patiente est si déficiente que son cœur est déjà fatigué (insuffisance cardiaque droite ou cœur pulmonaire). La grossesse serait alors dangereuse pour la femme. Évidemment, il est important pour un couple de discuter de tous ces points avec l’équipe de fibrose kystique afin d’évaluer les risques potentiels.
Alors, lorsqu’une femme décide qu’elle aimerait avoir un bébé et que rien ne semble contre-indiquer la grossesse, quel autre facteur faudrait-il considérer? D’abord, son partenaire doit subir des tests génétiques, tel que je l’ai mentionné plus haut. Ensuite, les traitements médicaux, les techniques de physiothérapie, la diète, les vitamines et suppléments devraient être passés en revue, de l’acide folique devrait être ajouté aux autres vitamines et un traitement aux antibiotiques pourra être nécessaire pour accroître la fonction pulmonaire. Durant la grossesse, tous ces facteurs devront être revus régulièrement en plus, bien sûr, des soins obstétricaux normaux. Idéalement, l’obstétricien devrait travailler en étroite collaboration avec l’équipe de fibrose kystique.
Il revient à l’obstétricien et la future maman de décider de la méthode et du moment de l’accouchement. Toutefois, il se peut que l’on doive tenir compte de problèmes liés à la fibrose kystique et que ceux-ci contraignent à une décision visant à protéger la mère, l’enfant ou les deux. Il est fréquent que l’accouchement se fasse par voies naturelles, mais la fatigue ou des difficultés respiratoires peuvent entraîner l’utilisation d’un forceps ou nécessiter une césarienne. On a souvent recours à l’anesthésie péridurale en raison de son efficacité, de sa flexibilité, et également parce qu’elle peut être poursuivie après l’accouchement pour diminuer la douleur et permettre de commencer la physiothérapie dès que possible.
Après l’accouchement, de nombreuses femmes désirent allaiter. Les seins ne sont pas affectés par la fibrose kystique et fournissent un lait normal. L’allaitement demeure la meilleure méthode pour nourrir un bébé, même s’il exige beaucoup de la femme et nécessite un surplus de calories. Certaines femmes peuvent trouver l’allaitement difficile; toutefois, même une petite quantité de lait maternel ajoutée à une préparation de lait vaut mieux pour le bébé que pas de lait maternel du tout. La diététicienne peut conseiller la femme quant au surplus de calories nécessaire. La plupart des médicaments utilisés pour le traitement de la fibrose kystique sont sûrs et l’équipe de fibrose kystique peut être consultée à ce propos en cas de problème.
Prendre soin d’un bébé est une dure tâche. Même avant la grossesse, il est important de trouver quelqu’un qui pourrait prendre soin du bébé si la mère n’était pas assez bien pour le faire. Il faut également penser à la façon dont le couple et la famille pourraient s’y prendre, spécialement si le pire survenait et que la mère ne survivait pas. Cette question est extrêmement pénible pour ceux et celles qu’elle concerne, mais doit tout de même être soulevée.
Les transplantations sont de plus en plus fréquentes. Il est donc naturel que l’on questionne les médecins sur la possibilité d’envisager une grossesse après une transplantation pulmonaire. Des femmes ont eu des enfants suite à une transplantation d’un rein, du foie ou du cœur, mais peu d’entre celles qui ont subi une transplantation cœur/poumons ont ensuite eu un bébé. Bien que l’on ne m’ait pas signalé de cas de grossesse après une double transplantation pulmonaire1, je suis certain que ces dernières se produisent et se produiront; cependant, les poumons qui ont été transplantés sont plus fragiles que tout autre organe greffé et l’on pense qu’il pourrait y avoir un risque de rejet accru pendant la grossesse. Il subsiste donc une certaine inquiétude à recommander une grossesse après une transplantation mais le personnel des centres de transplantation est sûrement mieux placé pour évaluer la situation.
Je conclurai donc en disant qu’il est possible pour les femmes atteintes de fibrose kystique de devenir enceintes, même pour celles qui sont très malades, et que, par conséquent, la contraception s’avère importante. Les problèmes de fertilité ne sont pas aussi courants qu’on l’a déjà cru et peuvent être surmontés assez facilement en contournant le bouchon de mucus du col de l’utérus. De nombreuses grossesses se déroulent relativement sans problème, mais des complications sont plus probables chez les femmes très atteintes par la maladie, spécialement chez celles qui ont une piètre fonction pulmonaire. Même dans ces conditions, la grossesse peut être menée à bien. Cependant, le risque que la grossesse elle-même aggrave la condition fibro-kystique de la mère subsiste toujours. Une grossesse ne devrait vraisemblablement pas être envisagée lorsque le VEMS1 est inférieur à 60%. Il faut porter beaucoup d’attention aux traitements et ce, autant avant que pendant la grossesse. La future maman de même que son partenaire devraient également consulter l’équipe de fibrose kystique et subir des tests génétiques avant toute tentative de grossesse.
1 N.D.L.R. En 1996, une femme du Québec ayant subi une double transplantation pulmonaire (donneurs apparentés vivants) a réussi à mener sa grossesse à terme.