Un témoignage de Clémence Nardini
Cher donneur,
Aujourd’hui est le 3650ème jour de ce que je voudrais appeler « ma nouvelle vie ». Comment expliquer toutes les émotions qui passent à travers une personne en attente d’un nouvel organe. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je me souviens de cette nuit où le chirurgien m’a appelée pour m’annoncer qu’ils avaient des poumons pour moi. De ces larmes de soulagement mais aussi de peur lorsque j’ai annoncé la nouvelle à ma sœur, Cha. De ces mots plein d’amour et d’espoir échangés avec mes parents devant la porte du bloc opératoire. Chaque jour, je me rappelle de cette nuit du mois de novembre où j’ai été appelé pour la greffe. Du jour où je me suis réveillée, et de ce moment qui aurait certainement marqué la fin de ma vie. De la première fois où je me suis tenue assise sur une chaise. Je me souviens de tout. De cette salle d’opération et de ces baies vitrées où je pouvais voir tout ce qui se passait. De ce drap blanc qui recouvrait l’ensemble de mon corps, de toutes ces machines auxquelles j’étais reliée. De ce masque sur le nez, de ces électrodes posées sur ma poitrine et de ces chirurgiens prêts à m’ouvrir le thorax.
De ce « Clémence, tu es prête ? » prononcé par l’anesthésiste. Je me souviens de tout, dans les moindres détails. De mon réveil en réanimation, intubé avec des drains de chaque côté. De cette première sensation lorsque j’ai pu respirer par moi-même. De ces premiers mots prononcés, de la fois où on m’a annoncé que ça y est, le plus dur avait été fait. Cher donneur, je me souviens qu’il a fallu que tu perdes la vie pour sauver la mienne. Et, tu étais là, quelque part ; je ne te voyais pas mais je savais que celle qui avait été traversée par la même douleur que moi tenait encore debout. J’aurai voulu te dire « je t’aime » autant de fois qu’il le fallait. Te dire « merci » pour tout ce que j’ai appris. J’voudrais te raconter tout ce qui se passe dans ma vie, te parler de celle que je suis devenue et de tout ce que j’ai pu vivre grâce à toi. J’voudrais te raconter tous les sentiments que j’ai eus, toute ma peine et toute ma joie. Ecrire des centaines de pages de souvenirs, de déceptions mais aussi d’espoir. Des centaines de pages de souvenirs pour toujours me rappeler. Me souvenir à quel point j’ai pu rire souvent, et à quel point j’ai pu avoir mal aussi. Me souvenir de toutes ces fois où j’ai eu le cœur brisé et de toutes ces fois où la vie m’a rendue heureuse. Me rappeler de toi. De la première fois où j’ai compris ce que c’était de souffrir, de la première fois où je me suis sentie revivre. J’voudrais te raconter toute ma vie ici, simplement pour ne jamais oublier. Toi que j’ai attendu pendant 5 mois, chaque jour je me force à garder un esprit positif, avec des objectifs plus grands que ceux que j’avais avant. En l’espace de 8 heures ma vie a complètement changé. Ce 19 novembre 2006 m’a donné de l’espoir et être libérée 40 jours après l’intervention a été un miracle.
Cher donneur, tu m’as fait pleurer plus d’une fois, il m’est arrivé d’être en colère contre toi mais tu m’as permis de ressentir l’amour, la compassion, et la force dont j’avais besoin. Tu m’as montré que rien n’est acquis et surtout que rien ne dure. Qu’il faut vivre l’instant présent parce que la vie est courte et que tout peut basculer du jour au lendemain. Tous ces moments où nous nous sommes demandé si j’allais vivre encore un autre jour, on se disait que, bientôt, je serai capable de monter les escaliers, de danser, et de rire. Des choses si insignifiantes et pourtant si importantes. Pendant de nombreuses nuits ces pensées étaient les seules choses qui me permettaient de passer outre la douleur et la souffrance ; pour voir ma famille sourire à nouveau. Ce n’est que maintenant que je réalise à quel point la route a été longue. On maudit une épreuve, mais on ne sait pas, quand elle nous arrive, qu’elle va nous faire grandir et nous emmener ailleurs. On ne veut pas le savoir. La douleur est trop forte pour qu’on lui reconnaisse une vertu. C’est quand la douleur est passée, qu’on se retourne et qu’on considère, ébahi, le long chemin qu’elle nous a fait parcourir. C’était le samedi 19 novembre 2006 et depuis, je marche sans avoir besoin de m’arrêter à chaque pas que je fais, je voyage sans emporter ma bouteille d’oxygène partout où je vais, je danse jusqu’à en perdre l’équilibre et je mange sans être écœurée à chaque bouchée. La vie est enfin devenue ce qu’elle était censée être. Comme j’ai toujours voulu qu’elle soit.
Cher donneur, je ne sais pas quand on m’annoncera la fin de cette belle et merveilleuse histoire, ni si une nouvelle greffe de poumons sera envisageable mais j’aimerais te remercier. Merci de me laisser respirer sans l’aide d’oxygène depuis 10 ans, merci de ne plus me fatiguer au moindre faits et gestes, merci de me laisser danser, chanter, voyager, rigoler comme j’en ai envie. Comme j’en ai toujours rêvé.
Cher donneur, aujourd’hui est le 3650ème jour mais aucun mot ne sera assez fort pour te dire à quel point tu m’as sauvé la vie.
« Notre vie commence lorsqu’on se rend compte que l’on en a qu’une. »