Dr Danielle Taddeo
Pédiatre
Hôpital Sainte-Justine
Montréal (Québec), Canada
Aborder le sujet de la contraception chez la femme atteinte de fibrose kystique est quelque chose que l’on peut percevoir comme étant très positif. En effet, grâce aux remarquables progrès accomplis dans le domaine de la fibrose kystique et à l’augmentation significative de la survie des individus atteints, le sujet est devenu pertinent. C’est aussi penser que les femmes atteintes de cette maladie peuvent mener une vie « normale » au plan personnel et social, enrichie de relations humaines pouvant devenir plus intimes. Il ne s’agit pas de mettre de côté la joie d’une grossesse ou le bonheur d’avoir un enfant nécessairement, bien que cela puisse être le cas, mais plutôt de la liberté de pouvoir planifier avec son conjoint, et peut-être aussi son médecin, cet événement à la fois simple et compliqué…
Parler de contraception à une femme fibro-kystique suggère qu’elle peut devenir enceinte. Voilà donc la première chose à clarifier. Les adolescentes atteintes de fibrose kystique voient leurs premières règles survenir environ deux ans plus tard que la moyenne des filles non atteintes(1); cela semble dépendre surtout de leur état nutritionnel et de leur poids. Bien que leurs organes reproducteurs soient tout à fait normaux, le mucus situé au niveau du col de l’utérus est plus épais, ce qui peut entraver la progression des spermatozoïdes. D’anciennes études rapportaient un taux de fécondité très bas chez les femmes fibro-kystiques, soit moins de 20%, mais une étude plus récente(1) n’a pu démontrer de différence entre le pourcentage de jeunes femmes atteintes et non atteintes qui désiraient une grossesse et qui devenaient effectivement enceintes (67% d’entre elles). D’autres facteurs peuvent diminuer la fécondité en réduisant la fréquence des cycles ovulatoires, soit un état nutritionnel pauvre ou une maladie respiratoire sévère. Ces conditions se produisent toutefois moins précocement et moins fréquemment grâce à l’amélioration des traitements. Le nombre annuel de grossesses doublait aux États-Unis entre 1986 et 1990, et il ne cesse d’augmenter depuis.
Les jeunes femmes fibro-kystiques ont leurs premières relations sexuelles au même âge que les autres, sont en relation conjugale dans la même proportion, mais selon l’étude citée précédemment(1), font moins souvent usage d’une méthode contraceptive. Elles se retrouvent donc assez souvent enceintes sans l’avoir planifié (dans 33% des cas). Il est certain qu’une détérioration pulmonaire est possible, bien que cela ne se produise pas d’emblée. Une étude encourageante réalisée à Toronto(2) a rapporté un faible taux de complications maternelles et fœtales chez un groupe de femmes dont l’atteinte respiratoire et digestive semblait légère. Il demeure quand même qu’il subsiste un risque de détérioration temporaire et que la grossesse se déroulera certainement mieux si elle est planifiée. C’est là qu’entre en jeu une bonne méthode de contraception. Point important à préciser : le choix du type de contraception doit être discuté à l’intérieur du couple, car et l’homme et la femme doivent en assumer la responsabilité. Voici donc certaines options qui s’offrent à la femme fibro-kystique :
La contraception hormonale
La pilule est le moyen de contraception réversible le plus efficace et le plus populaire. Elle n’est par contre pas la seule méthode de contraception hormonale. On peut diviser celle-ci en deux catégories : dans la première, on retrouve les produits qui contiennent deux types d’hormones – les oestrogènes et les progestatifs – la « pilule » étant la plus connue et la plus utilisée, et dans la deuxième, les produits qui ne contiennent qu’un progestatif, tels la minipilule (Micronor), les injections de progestatifs (Dépo-Provera) et les implants de progestatifs (Norplant).
Les contraceptifs oraux
Comment la pilule contraceptive agit-elle? On peut citer plusieurs mécanismes d’action dont le principal est l’inhibition de l’ovulation. Les autres consistent en un épaississement du mucus cervical qui empêche les spermatozoïdes d’accéder à l’ovule et une altération de l’endomètre qui, en devenant atrophique et aminci, devient non favorable à l’implantation d’un ovule fécondé. C’est une méthode simple basée sur la prise régulière d’un comprimé par jour. Elle comporte plusieurs avantages. En effet, elle régularise les cycles menstruels et réduit souvent les saignements, diminuant ainsi les risques d’anémie. Les crampes menstruelles (dysménorrhée) sont très souvent atténuées. De plus, la pilule diminue parfois l’acné, ainsi que les risques de cancer des ovaires et de l’endomètre (utérus). Enfin, le retour à la fertilité est assez rapide après que l’on ait cessé de la prendre. Les désavantages de la pilule contraceptive sont les suivants : elle doit être prise continuellement pour être efficace, elle ne protège pas contre les maladies transmissibles sexuellement et elle nécessite une visite chez le médecin pour une prescription. Cette dernière peut, par contre, être une bonne occasion de discuter des différents aspects de sa sexualité et de sa santé. L’examen gynécologique n’est pas obligatoire avant de commencer à prendre la pilule, mais doit être fait peu après les premières relations sexuelles, puis annuellement et au besoin.
Il semble sécuritaire pour la jeune femme atteinte de fibrose kystique d’utiliser les contraceptifs oraux. Certains médecins se sont toutefois demandés si la pilule pouvait causer un épaississement du mucus des bronches, comme cela se produit au niveau du mucus cervical, et occasionner ainsi une détérioration pulmonaire. Une étude à cet effet n’a cependant rien démontré de tel au cours des six premiers mois d’utilisation de la pilule(3). Mais il s’agit quand même d’un aspect qui doit être suivi régulièrement. Les contraceptifs sont-ils bien absorbés chez la femme fibro-kystique? Disons que cela peut être variable, mais que s’il n’y a pas de diarrhée et que la pilule est prise avec les enzymes pancréatiques, on améliore probablement son efficacité.
Certaines femmes se demandent si les antibiotiques ont un effet sur l’efficacité de la pilule. C’est une très bonne question. Les antibiotiques reconnus comme diminuant le plus la fonction des contraceptifs sont heureusement rarement utilisés dans le traitement de la fibrose kystique. Certains autres par contre, comme la pénicilline, pourraient réduire l’efficacité des contraceptifs oraux; il est donc recommandé d’ajouter une méthode barrière, telle le condom, durant le traitement à la pénicilline et pendant les jours subséquents. Il est important de toujours informer son médecin de l’utilisation de contraceptifs oraux pour qu’il puisse évaluer la possibilité d’interaction médicamenteuse et l’altération de l’effet de la pilule ou du médicament prescrit.
La pilule peut entraîner des effets secondaires pouvant inciter la femme à en cesser l’utilisation. Voici les principaux :
- Les tachetures (saignements vaginaux entre les menstruations)
Durant les premiers mois d’utilisation, certaines femmes ont des tachetures, mais ces dernières ne sont nécessairement pas un signe d’inefficacité de l’anovulant. Il est donc inutile de cesser la pilule ou de changer la sorte de pilule si cela se produit durant les trois premiers mois. Si la situation persiste, le médecin recherchera d’abord une autre cause de saignement : oubli d’un comprimé, prise irrégulière des comprimés, médicaments associés, vomissements, diarrhées, entre autres. Une MTS (en particulier une infection à chlamydia) de même que le tabagisme peuvent également causer des tachetures. Toutefois, si aucune de ces causes n’est retenue, un changement d’anovulant est alors indiqué.
- Les nausées
Les nausées constituent un effet indésirable fréquent durant les premiers mois. Prendre la pilule au coucher ou avec de la nourriture atténue souvent ce symptôme. S’il persiste, une diminution de la teneur en oestrogènes des contraceptifs peut aider.
- Mastalgie (douleur au niveau des seins)
La première chose à faire pour soulager la mastalgie est de diminuer la consommation de caféine (café, cola, chocolat) et le tabagisme. Diminuer le contenu œstrogénique de la pilule peut aussi s’avérer efficace.
- Le gain de poids
Le gain de poids est rarement causé par les contraceptifs oraux à faible dose. Il est cependant possible que les contraceptifs causent une rétention liquidienne, ce qui peut occasionner un gain de poids. De plus, il arrive que les progestatifs puissent augmenter l’appétit. Certaines utilisatrices peuvent, par ailleurs, perdre du poids, si elles ont des nausées.
- Acné
Les nouveaux anovulants ont un effet plutôt bénéfique sur l’acné. Si jamais par contre, la pilule entraînait une exacerbation de ce problème, il serait sûrement possible de trouver un autre anovulant n’ayant pas cet effet ennuyeux.
- L’aménorrhée
5 à 10% des cycles peuvent être affectés par une aménorrhée (absence de menstruations). Il s’agit d’un effet secondaire assez fréquent mais qui n’est pas inquiétant.
Certaines conditions médicales nécessitent une attention particulière et une discussion avec un médecin habitué à prescrire un moyen de contraception aux femmes atteintes de fibrose kystique. Celles, par exemple, qui ont un problème hépatique, peuvent être appelées à utiliser une contraception consistant en un progestatif seul, dont nous reparlerons un peu plus loin ou une méthode barrière. Il n’y a pas de contre-indication à prendre la pilule contraceptive pour celles qui présentent une intolérance aux hydrates de carbone (glucose) ou un diabète, mais le suivi doit être fait de façon régulière.
Celles qui souffrent de migraines non compliquées de problèmes neurologiques –problèmes visuels, engourdissements, paralysie – peuvent prendre la pilule en demeurant attentives à une augmentation de la fréquence ou de l’intensité de leurs maux de tête.
Il est essentiel que les femmes qui prennent la pilule le mentionnent si elles prévoient se faire opérer. Elles doivent en effet en cesser l’utilisation quatre semaines avant une chirurgie exigeant une immobilisation prolongée. Cette précaution vise à prévenir une éventuelle thrombophlébite.
La minipilule
Cet anovulant ne contient qu’une sorte d’hormone : un progestatif. Elle agit en apportant des changements à l’endomètre de l’utérus et au mucus cervical.
L’ovulation est inhibée chez 60 % des femmes utilisant cette pilule qui doit être prise à la même heure chaque jour. Son principal désavantage est de provoquer une absence de menstruations ou des saignements irréguliers. La minipilule est recommandée quand les œstrogènes sont contre-indiqués chez une femme ou qu’ils occasionnent trop d’effets secondaires. Elle peut être conseillée chez celles qui ont un problème hépatique, par exemple, ou qui souffrent de migraines compliquées.
Dépo-Provera
Le Dépo-Provera est un progestatif injectable, l’acétate de médroxyprogesterone. Il supprime l’ovulation, rend le mucus cervical imperméable au sperme et induit une atrophie de l’endomètre. Une injection intramusculaire est nécessaire à tous les trois mois. Ses principaux effets secondaires sont les saignements imprévisibles, l’absence de menstruations (50% après un an) et le gain de poids (2.5 kg au cours de la première année). Les indications pour la minipilule s’appliquent également au Dépo-Provera. De plus, cet anovulant ne dépend pas de l’absorption intestinale pour être efficace et n’entre pas en interaction avec les antibiotiques. À ce jour cependant, aucune étude spécifique concernant ce moyen de contraception n’a été menée chez les femmes fibro-kystiques.
Les méthodes barrières
Le condom masculin
Le condom est le moyen contraceptif le plus complet, prévenant à la fois la grossesse et les maladies transmissibles sexuellement. Son efficacité repose sur son emploi assidu et adéquat, à chaque relation sexuelle, et ce, quelle que soit la période du cycle menstruel. On peut se le procurer aisément, il ne faut que surmonter la gêne de l’acheter… On lui attribue cependant bien des défauts : interrompre la spontanéité de la relation sexuelle, diminuer la sensibilité, rompre. À cet effet, les bris de condom sont rares et généralement dus à un emploi abusif, à l’ajout d’un lubrifiant nocif (beurre, huile pour bébé, huile de massage, gelée de pétrole ou Vaseline), à une conservation inadéquate ou à une date de péremption dépassée. Le condom peut aussi se briser pendant le déballage, la pose ou le retrait. Ajouter un lubrifiant peut augmenter la sensibilité éprouvée. Il peut être incorporé aux jeux amoureux et même être avantageux en prolongeant l’érection de l’homme et en diminuant les problèmes d’éjaculation précoce. Le condom en membrane naturelle procurerait une meilleure sensibilité, mais il est moins robuste et ne protège pas des MTS.
Le condom féminin
Conçu en polyuréthane mince et souple, le condom féminin serait presque aussi efficace que le condom masculin. Il s’adapte aux contours du vagin et ne serre donc pas le pénis, procurant une sensation plus naturelle et une sensibilité accrue. Il serait par contre bruyant lorsqu’on l’utilise.
Le diaphragme
La femme qui désire utiliser un diaphragme doit être à l’aise avec sa manipulation : il doit en effet être mis en place avant chaque relation sexuelle. Il doit être utilisé avec un spermicide pour offrir une meilleure protection contraceptive. Un examen gynécologique est nécessaire pour déterminer sa dimension initiale car son efficacité dépend beaucoup de sa capacité à demeurer bien en place. En recouvrant le col de l’utérus, il protégerait aussi de certaines MTS.
Les spermicides
Le taux d’efficacité moyen des spermicides utilisés seuls est moindre que celui du condom ou des contraceptifs oraux. Il est donc préférable de les utiliser en combinaison avec une autre méthode. Les spermicides se présentent sous forme d’éponge, de gel biadhésif, de mousse, de gelée, de crème et de film. En voici deux types :
- L’éponge ProtectaidMD :
Insérée devant le col de l’utérus et contenant trois agents spermicides, l’éponge ProtectaidMD absorbe le liquide séminal tout en détruisant les spermatozoïdes. Elle ne nécessite pas de visite chez le médecin ni de prescription médicale. Un de ses désavantages semble être de créer une plus grande tendance aux vaginites, problème déjà fréquent chez les femmes fibro-kystiques sous antibiotiques. De plus, l’éponge ne peut être utilisée durant les menstruations.
- L’Advantage 24MD:
L’« avantage » de l’Advantage 24MD est qu’il semble efficace contre les MTS et le VIH. Sous forme de gel, il peut être inséré jusqu’à 24 heures avant la relation sexuelle grâce à un applicateur jetable, mais il est plus efficace s’il est appliqué peu avant le coït.
Le stérilet
Idéalement, le stérilet est recommandé à la femme qui a déjà été enceinte – son installation est beaucoup plus facile et beaucoup moins douloureuse dans l’utérus d’une femme qui a déjà accouché – et qui a un partenaire stable, de façon à réduire les risques de maladies transmissibles sexuellement. Il peut à l’occasion être une option pour la femme qui n’a jamais eu d’enfant, après analyse de sa situation et discussion avec un médecin. Les risques associés à l’utilisation d’un stérilet sont la perforation utérine, l’augmentation des douleurs abdominales et des saignements menstruels, une maladie inflammatoire pelvienne et une grossesse ectopique.
Contraception post-coïtale
Lorsqu’on parle de contraception post-coïtale, il est principalement question de pilule du lendemain. Pour une efficacité optimale, cette dernière doit être prise dans les 72 heures suivant une relation non protégée ou un bris de condom, mais peut être prise jusqu’à 120 heures après. Deux comprimés d’Ovral (une pilule contraceptive) sont pris initialement et deux autres 12 heures plus tard. Certaines femmes peuvent avoir des nausées et l’on recommande donc de prendre un comprimé de Gravol une demi-heure avant la prise des deux derniers comprimés.
Une autre méthode est le « stérilet du lendemain » qui peut être installé jusqu’à sept jours après une relation sexuelle à risque de grossesse. Cette méthode comporte certaines contre-indications et certains risques qui doivent être discutés avec un médecin.
Somme toute, plusieurs options s’offrent à la femme fibro-kystique qui recherche une méthode contraceptive efficace. Parmi celles abordées plus haut, il y en aura certainement une qui saura lui convenir. Une discussion avec son médecin traitant peut apporter des éclaircissements sur ce choix, car il faut bien souvent tenir compte de plusieurs aspects de la maladie et de la santé. Enfin, le partenaire est toujours le bienvenu s’il veut participer à la discussion…